1954 : Le début de la guerre d’Algérie

Le 1er novembre 1954, une série d’attentats secoue toute l’Algérie. Même si les dégâts sont relativement peu importants, les événements de la Toussaint 1954 sont l’acte naissance de la rébellion du FLN et le déclencheur du drame de la guerre d’Algérie.

Soldats Français pendant la Guerre d’Algérie.

5e jour du mois de Rajeb, 1374, une puissante élite d’enfants libres algériens, a déclenché l’insurrection contre l’impérialiste français tyrannique en Afrique du nord » Communiqué du FLN, 1er novembre 1954
 

Les origines, Sétif, Guelma… :

Si depuis 1848, l’Algérie est officiellement considérée comme une région française [I]Algérie : En 1954, l’Algérie est divisée en départements (Alger, Constantine, Oran, Bône, Sahara) et, depuis 1944, tous les habitants de l’Algérie ont officiellement le statut de citoyens français. , dans les faits elle est soumise au régime colonial avec toutes les injustices et discriminations que cela implique.
Le 8 mai 1945 est un jour de fête en France  mais pas en Algérie… La population Arabe, spontanément, manifeste dans les rues de Sétif pour célébrer la fin de la guerre mais aussi pour exiger l’égalité des droits avec les autres Français. N’ont ils pas combattu le nazisme au nom de la liberté des peuples ? Des heurts ont lieu et perdant le contrôle de la situation un policier tire. Tout dérape; la manifestation dégénère en insurrection à Sétif mais aussi dans la ville de Guelma. Des Européens sont tués. L’armée appelée en renfort réprime violemment. La répression va s’accentuer jusqu’au 22 mai : on distribue des armes aux colons (officiellement pour qu’ils puissent se défendre) qui se vengent ensuite aveuglément. Le bilan exact de ces journées dramatiques est inconnu: une centaine d’Européens et entre 8 000 et 15 000 musulmans tués.  Le général Duval, commandant des forces françaises en Algérie, dira:

« Je vous donne la paix pour dix ans, à vous de vous en servir pour réconcilier les deux communautés. Une politique constructive est nécessaire pour rétablir la paix et la confiance. »

Carte montrant les zones insurgées en 1945 lors des émeutes de Sétif

Carte issue de la revue Histoire – Montre les zones touchées par les émeutes de Sétif et Guelma en mai 1945.

 

En 1947, le gouvernement fait voter à l’Assemblée Nationale un nouveau cadre législatif pour l’Algérie. Le droit de vote est reconnu à l’ensemble de la population. Une Assemblée Algérienne est crée tandis qu’un Gouverneur Général nommé par le gouvernement exerce le pouvoir exécutif.
Les 120 représentants de cette Assemblée sont élus par deux collèges. Le premier collège regroupe les Européens et une minorité de notables musulmans et le second le reste de la population Arabe.
D’emblée cette réforme votée à Paris est vidée de son sens sur le terrain par une administration locale et des colons qui répugnent à l’appliquer.  Lors du premier vote en 1948, de nombreuses irrégularités ont lieu: bourrage des urnes, candidats musulmans dissuadés de se présenter, intimidations… L’administration coloniale chercher ainsi à évincer les candidats du second collège réputés « indociles » et « nationalistes« . Ne reste que quelques élus « béni oui-oui », choisis davantage pour leur fidélité à la France que pour leurs compétences réelles. Avec cette conséquence déplorable, des militants nationalistes algériens se persuadent que la recherche de changement en Algérie par la voie politique et les élections est illusoire, truquée, bloquée par une société coloniale qui entend conserver ses privilèges.

En 1954, les Français d’Algérie (surnommés « Pieds Noirs ») sont près d’un million vivant principalement dans les villes côtières : Alger, Oran, Constantine… A leur côté se trouve une population musulmane d’environ 9 millions d’habitants.
La population Européenne est très hétérogène. Une minorité de riches colons, grands propriétaires terriens ou industriels, exerce une forte influence sur la vie politique algérienne  et cherche à maintenir le statu quo politique. Mais la majeure partie des « Pieds Noirs » est composée d’artisans, de fonctionnaires, de petits commerçants… Une classe moyenne qui n’est pas a priori hostile à des réformes politiques et qui vit souvent au contact de la communauté musulmane. Ce qui n’empêche pas pour certains d’avoir vis à vis des Arabes des sentiments de supériorité ou de racisme.  Cependant les violences du FLN, relayées et au départ amplifiées par la presse locale, pousseront la majorité des Pieds Noirs, par peur et par désir de vengeance, à exiger des mesures extrêmes et à dénoncer la « passivité » de la métropole

Au début 1955, le gouverneur Soustelle, conscient de la persistance des inégalités et problèmes économiques, dressera ce constat de la situation algérienne :

« Plusieurs millions de musulmans ont 1 500 F par mois pour vivre. Un adulte sur sept vit en France, car il y trouve un emploi. Moins de 26 000 colons possède deux millions et demi d’hectares. 40% des enfants tuberculeux viennent de la Casbah d’Alger. 275 000 enfants musulmans sont scolarisés soit un sur dix ! »

Je ne veux pas entrer dans les détails de l’histoire du nationalisme algérien mais il est nécessaire de retenir quelques notions. Le MNA (Mouvement National Algérien) est, en 1954, le principal parti indépendantiste algérien. Dirigé par Messali Hadj,  il prône l’action politique, via ses élus, pour obtenir l’émancipation des Algériens sans rupture avec la France. En 1954, une frange de jeunes militants rejette cette stratégie modérée considérant que tout progrès politique est impossible du fait des blocages de l’administration et des élections truquées. Ils décident donc de passer à l’action armée  et créent le Front de Libération Nationale (FLN).  La scission des deux forces nationalistes aboutira plus tard à des luttes fratricides et sanglantes entre militants du FLN et « messalistes » du MNA. L’enjeu étant de pouvoir s’imposer comme l’unique organisation représentante du peuple algérien face à l’Etat français.

Le groupe des six fondateurs du FLN

« Groupe des six », fondateurs du FLN. Debout, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M’hidi à droite. Photo en octobre 1954

Le contexte international est aussi prépondérant pour comprendre le choix des fondateurs du FLN. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les empires coloniaux (France, Belgique, Grande-Bretagne et Pays-Bas) sont affaiblis économiquement et militairement et leur prestige a souffert suite aux graves défaites face à l’Allemagne et au Japon. Le mouvement de décolonisation est aussi encouragé par les États-Unis et l’URSS qui sont désormais les puissances qui comptent par rapport à une Europe déclinante. Mais l’événement déclencheur va être la défaite française de Dien Bien Phu le 7 mai 1954. La France, puissance coloniale, est sévèrement battue par la rébellion du Viet Minh  et va devoir bientôt quitter l’Indochine.

1er novembre 1954: la « Toussaint Rouge »

Le 1er  novembre 1954, plus de 30 attentats sont commis dans toute l’Algérie : des bombes mais aussi des meurtres de musulmans pro-français. Dans la région montagneuse des Aurès des maquis s’organisent. Le gouvernement et l’administration coloniale sont surpris par ces attaques que personne n’a su prévoir ou anticiper. Alors on improvise. A titre préventif, 2 000 militants nationalistes du MNA sont arrêtés. Cela témoigne bien de la méconnaissance totale du FLN par les services de Police qui ignorent que les hommes du MNA n’ont alors aucun lien avec la rébellion. Cette rafle provoque même le passage dans la clandestinité d’une partie du mouvement. Le ministre de l’Intérieur, François Mitterrand, rappelle en décembre 1954, la position du gouvernement de Mendes-France: « l’Algérie c’est la France ».

Archive INA – Actualités Française de novembre 1954 et discours de François Mitterrand.

Imbroglio politique:

Petite parenthèse nécessaire pour expliquer le contexte politique en France dans les années 50. On est alors sous la IVe République dont le fonctionnement diffère par rapport à notre régime politique actuel. Le Président de la République est élu par le Parlement pour sept ans mais n’a qu’une fonction honorifique. Le véritable pouvoir exécutif est détenu par le Président du Conseil (≈ Premier Ministre actuel) qui nomme et dirige le gouvernement tandis que le pouvoir législatif est composé de deux chambres : le Conseil de la République (≈ Sénat actuel) et l’Assemblée Nationale. Une fois formé, le gouvernement doit recevoir l’investiture de l’Assemblée qui peut le censurer et donc le renverser sur un vote à majorité simple (actuellement il est nécessaire de réunir 3/5 des votes pour censurer le gouvernement).
Or la principale faiblesse de la IVe République concerne son mode de scrutin proportionnel pour l’élection des députés.

Equlibres politiques à l'Assemblée Nationale suites aux élections de 1951. Résultats des élections de 1951. (source Wikipedia)

Comme on peut le voir ci-dessus, il sera toujours difficile d’obtenir et surtout de maintenir une majorité solide à l’Assemblée et les gouvernements ne verront le jour que suite à de longues négociations entre le Président du Conseil et les groupes parlementaires pour former des coalitions. Il faut aussi prendre en compte que depuis 1947, le Parti Communiste ne participe plus au gouvernement et demeure dans l’opposition. Un déplacement de quelques dizaines de voix de parlementaires est donc suffisant pour provoquer la chute d’un ministère. Dans ces conditions, imposer des réformes ambitieuses, affronter des groupes de pression ou traverser  une période de crise devient un exercice périlleux pour n’importe quel chef de gouvernement. Entre 1947 et 1958, sur une période de dix ans, on ne comptera pas moins de 24 gouvernements et 16 Présidents du Conseil différents ! Cette instabilité politique a des effets pervers. En effet, comme un ministre ne demeure en place que quelques mois, son administration s’octroie une certaine liberté d’action dans la gestion des affaires courantes. Les hauts-fonctionnaires ne rendent pas toujours compte de leurs actions à leur ministre de tutelle, et n’hésitent pas à retarder l’application de politiques qui leur déplaisent (pariant sur leur annulation lors de la prochaine crise ministérielle…).

La IVe République fut souvent critiquée mais on doit mettre au crédit des dirigeants de l’époque d’avoir su reconstruire le pays, moderniser l’économie, construire l’Europe et appliquer les réformes sociales nées des idéaux de la Résistance…. Notons cependant que paralysés par des institutions contraignantes, ils n’ont pu faire face à tous les défis notamment ceux de la décolonisation.

 Jacques Soustelle: un nouveau Gouverneur Général pour l’Algérie.

Le 26 janvier 1955, le Président du Conseil, Pierre Mendes-France (MRP) nomme Jacques Soustelle gouverneur général de l’Algérie. Jacques Soustelle est un ethnologue de formation, ancien résistant, chef des services secrets pendant la France Libre et gaulliste important.
Les termes de sa mission sont simples: ramener l’ordre dans les Aurés et imposer l’application des Statuts de 1947 aux colons européens afin de contrer les revendications nationalistes du FLN. Mendes-France vient de solder la guerre d’Indochine en signant les accords de Paris et négocie alors l’indépendance des protectorats marocains et tunisiens. Autant dire qu’aux yeux des ultras européens il n’est rien d’autre qu’un « bradeur d’Empire« . Mais il ne faut pas se leurrer, Mendes-France, comme une large majorité de la population française en 1954, considère que l’Algérie, contrairement aux autres possessions africaines, est une partie intégrante du territoire français.

Lorsque Soustelle arrive à Alger, le 5 février, l’accueil des Pieds-Noirs est glacial. La plupart sont méfiants vis à vis de celui que certains colons surnomment : « le juif Ben Soussan ».
Le même jour, à Paris, le député de Constantine René Mayer, défenseur des intérêts des colons, mène l’opposition à l’Assemblée contre un projet gouvernemental visant à épurer la police algérienne de ses membres les plus durs et à renforcer les droits politiques des populations musulmanes. Le projet est rejeté tandis que Mendes-France, mis en minorité, doit démissionner après sept mois d’action politique. Soustelle doit lui attendre trois semaines et la formation d’un nouveau gouvernement pour que sa nomination soit confirmée et commencer à travailler.

Archive Actualités Française du 5 février 1955 – Révélateur l’atmosphère politique de la IVe République..

Durant tout son mandat de gouverneur Soustelle sera obligé de louvoyer entre les libéraux qui lui reprocheront toujours de ne pas réformer assez vite et les ultras qui l’accuseront de faiblesse face à la rébellion. Lui souhaite réellement l’assimilation des musulmans comme citoyens français tout en combattant fermement le FLN. Et surtout contenir, à tout prix, la révolte dans les Aurés pour éviter que le terrorisme n’embrase toute l’Algérie. Autrement, la panique pourrait gagner les Européens avec le risque de nouvelles exactions ou massacres préventifs contre la population musulmane : le contre-terrorisme répondant alors au terrorisme dans un cycle de violence sans fin.

Les difficultés pour changer la société coloniale sont innombrables tant les réformes nécessaires ont, dans le passé, été ajournées par les gouvernements successifs. Il faut désormais rattraper des décennies de retard en urgence et qui plus est dans un climat d’insurrection ! Lorsque le gouverneur veut supprimer le double collège ou la loi électorale des « 3/5-2/5 » (3/5 des membres des conseils municipaux issus du premier collège d’européens et 2/5 de la population musulmane), il se heurte d’emblée à la puissante Fédération des maires d’Algérie et aux lobbys coloniaux conservateurs qui ont des relais à Paris ou au sein de l’administration coloniale. A cela s’ajoute un soutien, prudent ou frileux, de Paris aux tentatives de réformes. Le nouveau gouvernement de Edgar Faure renâcle, par exemple, à débloquer les crédits, réclamés par Soustelle pour investir et moderniser l’économie algérienne. Le gouverneur espère aussi l’émergence d’une « troisième force » composée d’européens et de musulmans modérés, disposée à rendre possible l’intégration réelle de l’Algérie au sein de la République et qui ferait obstacle aux extrémistes des deux bords. Pour cela Soustelle cherche à accélérer la formation de hauts-fonctionnaires issus de la population musulmane. Cependant aucune réforme ne peut être menée à bien tant que la situation sécuritaire  se détériore.

Soustelle va ainsi affronter le chef de l’Armée d’Algérie, le général Cherrière, dont il critique les méthodes pour conduire la guerre et qu’il veut superviser.

Le « gros » Cherrière avec ses gueulantes, sa stratégie d’avant 1939, ses complots de couloirs à la petite semaine, son éternel dépit à devoir rendre des comptes au Gouverneur Général.
Citation « Le temps des Léopards », Yves Courrière.

De gauche à droite: Pierre Mendes-France, grand homme politique de la IVe République,  et Jacques Soustelle.

L’impasse militaire et l’échec du « ratissage »

Car c’est bien une guerre qui se déroule dans les massifs des Aurès. Face à l’armée les rebelles du FLN adoptent une tactique de guérilla : embuscades et sabotages. Avec pour méthode le harcèlement de l’adversaire qui ne doit pas avoir le temps de s’organiser et de riposter. Ces embuscades régulières contre les postes avancés et les patrouilles,  causent relativement peu de dégâts mais permettent de récupérer des armes, créer un climat d’insécurité et favoriser la propagande auprès des populations locales en affichant l’image d’un FLN tout puissant. Dans les villages, le FLN s’implante de gré ou de force, assassine les cadres pro-Français,  recrute des agents, collecte de l’argent (impôt révolutionnaire ou extorsion selon le point de vue) et  organise des zones de refuge ou de ravitaillement.

L'armée française mène des opérations de ratissages dans les Aurès en 1955.

L’armée française en opération dans les Aurés en 1955.

En 1955, l’Armée d’Algérie regroupe environ 80 000 homme (en comptant les forces de la Gendarmerie) avec principalement des soldats de métiers et des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais et tabors marocains). Dans les Aurés ce sont près de 10 000 soldats qui sont déployés pour traquer ceux que l’on considère comme des « bandits » (fellagas en arabe).
Face au FLN qui gagne en influence, le général Cherrière et son état-major ne jurent que par les grandes manœuvres d’unités, le « ratissage » et le « passage au peigne fin » des zones hostiles avec à chaque fois une débauche de blindés, d’artillerie, et même de bombardements au napalm (bien que officiellement l’armée n’en possède pas). Les résultats sont maigres : autant chasser un moustique avec un marteau ! Les grosses unités de l’armée alourdies par leur logistique, leurs véhicules ne peuvent poursuivre les bandes légères du FLN. Celles-ci connaissent bien le terrain, évitent l’affrontement frontal, s’esquivent, crapahutent à travers les montagnes et peuvent ainsi contourner le dispositif français avant de fuir.
Sans compter les « dommages collatéraux » : villages bombardés, populations déplacées ou molestées, arrestations arbitraires, « suspects » abattus… Paradoxe immense l’armée se comporte dans les Aurés comme une puissance occupante confrontée à une population ennemie bien qu’elle soit censée protéger cette même population ! En trois mois, l’armée a perdu 114 hommes contre 208 « suspects » tués : un bilan désastreux.
Certains officiers, anciens de « l’Indo », qui ont combattu le Viet-Minh  dans les rizières, préconisent d’avoir recours à des unités légères, mobiles (grâce aux hélicoptères), de s’appuyer sur des communications rapides et la collecte du renseignement pour attaquer par surprise les caches du FLN. Bref, s’adapter et utiliser les mêmes méthodes que l’adversaire. Les unités de parachutistes ont ainsi obtenu de bons résultats dans le Constantinois mais l’état-major refuse d’entendre parler de ces théories de guerres contre-révolutionnaires et puis l’on ne dispose que de 5 hélicoptères en Algérie. L’adversaire étant constamment méprisé, de tragiques erreurs sont commises. Par exemple les relèves et les convois ont toujours lieu à heures fixes et empruntent systématiquement les mêmes chemins !   En février 1955, un peloton de 8 hussards parachutistes tombe ainsi dans une embuscade au retour d’une patrouille : le chef de patrouille est tué,  un soldat blessé et  les 6 autres sont faits prisonniers par le FLN.

Mais ce qui fait le plus défaut c’est le renseignement : l’armée et l’administration française de 1955 n’ont aucune idée de l’organisation du FLN, de ses effectifs réels (N.B environ 400 hommes dans les Aurès sans compter les sympathisants) et de son armement.  Alors on rafle, au hasard, dans les villages les hommes pour « interrogatoire » avec des effets pervers. Pour chaque aveu arraché, combien de personnes, qui, humiliées ou voulant venger la mort d’un proche prendront le maquis pour soutenir le FLN ?

Le gouverneur Soustelle s’insurge non seulement contre les tactiques dépassés de l’état-major mais aussi contre les fonctionnaires qui ignorent complétement  ce qui se passe dans les régions censées être sous leur contrôle et où le FLN opère en toute impunité. Certains villages n’ont ainsi pas vu un fonctionnaire français depuis 30 ans !
En janvier 1955,  l’administrateur de Mr Ortu proteste contre l’envoi de renforts dans le massif de Nementchas. Il affirme que la région est calme et la présence du FLN négligeable:

« Je connais parfaitement les bandits dont on parle. Ce sont des bandits traditionnels, ils sont sept ou huit armés et je les ferais arrêter le moment venu. »

Bref tout va bien. Huit jours plus tard, une compagnie du 1er BTA est durement accrochée dans cette zone et sans l’arrivée rapide de renforts les pertes auraient pu être terribles. Quatre soldats sont morts et deux sont portés disparus. Le massif de Nementchas est en fait sur le point de devenir une place forte de la rébellion.

L’ébauche de l’action psychologique : les Sections Administratives Spécialisées (SAS)

Il s’agit d’un enjeu majeur de ce conflit : obtenir le ralliement et l’adhésion de la population musulmane par tous les moyens. Pour les deux camps qui s’affrontent, aucune victoire ne sera possible sans la sympathie voire le soutien pour la cause qu’ils défendent d’une majorité de la population algérienne. Pour renouer un lien de proximité avec des populations souvent isolées, le gouverneur décide la création des Sections Administratives Spécialisées (SAS). On installera dans un chef-lieu, un officier parlant arabe avec une dizaine de soldats et un peu d’argent. A lui de fournir des médicaments, écouter les doléances des villageois,  construire  une école… L’idée est certes un peu paternaliste mais il s’agit de remplacer en urgence une administration coloniale défaillante. Le renseignement n’est cependant pas oublié : chaque SAS devra ficher les habitants, sonder les opinions ou détecter les déplacements suspects. Beaucoup d’officiers SAS seront des hommes dévoués à leur mission : incarner une République protectrice des ses enfants. Ils paieront d’ailleurs un lourd tribut à la guerre; le FLN les ayant identifiés comme une menace réelle à son expansion. Malheureusement, on trouvera aussi des aventuriers, des escrocs  ou des types sans scrupule qui transformeront leur SAS en véritable centre de torture.

 

Actualités Françaises de 1956 montrant le rôle des SAS en Kabylie (Archive INA).


L’état d’urgence ou l’engrenage: la Pacification

Un veil est contrôlé et fouillé par un militaire pendant la guerre d'Algérie.
Scène de contrôle d’identité et de fouilles par l’Armée.

 

Les SAS représentent la face positive  de l’action de « Pacification », décidée par le gouverneur, censée ramener le calme et l’ordre en Algérie. Mais l’autre facette de cette politique est bien moins reluisante. Au mois de mars 1955, la situation ne cesse de se dégrader: après les Aurés et le Constantinois c’est au tour de la Grande Kabylie d’être touchée par la rébellion. Soustelle, avec l’aval du gouvernement, déclare alors l’état d’urgence en Algérie. La censure de la presse est instaurée. La Police peut désormais assigner à résidence ou interner dans des camps d’hébergement les personnes suspectées d’être antifrançaises ou de dangereux meneurs indépendantistes. Une terminologie vague qui permettra des abus que le gouverneur sera bien incapable d’empêcher.
L’annonce de l’état d’urgence est diversement accueillie par les Européens. Les ultras lui préfèrent l’état de siège qui aurait concentré l’ensemble des pouvoirs civils et de Police entre les mains de l’armée tandis que la faction libérale dénonce les conditions sanitaires déplorables et les exactions commises dans les camps. Parallèlement Soustelle et le général Cherrière donnent des consignes très dures à l’armée:

« Toute éclosion rébellion nouvelle doit entrainer aussitôt d’une part actions brutales contre bandes rebelles et d’autre part sanctions contre complices en vertu responsabilités collectives ».
Télégramme secret adressé au général Allard commandant dans les Aurés, 13 mai 1955.

Peu à peu la rébellion continue à s’enraciner et le FLN lance des actions plus audacieuses. Le 24 mai,  Maurice Dupuy, haut-fonctionnaire respecté par la population qu’il administrait, ainsi que quatre militaires sont assassinés par le FLN. Le choc est rude pour Soustelle  qui venait de lui rendre visite une semaine auparavant.
Maigres consolations, le gouverneur obtient l’envoi de renforts en Algérie et le rappel du général Cherriére. Son remplaçant, le général Lorillot est un militaire très « classique » pas un novateur mais il faudra bien s’en contenter car tout va bientôt s’accélérer.

Les émeutes de Philippeville:

En août 1955, les responsables du FLN du Constantinois se réunissent en secret. Même si l’organisation est parvenue à s’implanter dans plusieurs régions, leur constat est pessimiste. Le moral de la population, terrorisée par la répression, est au plus bas. Elle rechigne à venir en aide aux maquisards qui subissent d’ailleurs de lourdes pertes. Il est donc décidé de préparer un grand coup: mobiliser la population dans une action de masse contre les Pieds Noirs. Les pertes civiles seront sans doute importantes mais qu’importe il s’agit de prouver la force de la Révolution et d’instaurer un climat d’insécurité et de peur chez les colons. Pendant les jours suivants, les agents du FLN vont parcourir les villages, conditionner les habitants et attiser la colère.

Le 20 août, une manifestation de musulmans encadrée par des militants du FLN descend les rues de la ville de Philippeville. Une partie des hommes est armée mais au milieu d’eux se trouve aussi des femmes et des enfants. Soudain c’est l’explosion. Des grenades sont lancées sur les terrasses des cafés et l’émeute commence. Cette foule, marée humaine, armée de couteaux, de pelles, de fusils de chasse tue aveuglément les Européens qu’elle rencontre mais aussi les opposants politiques que les hommes du FLN désignent à la vindicte populaire. En haut de la rue Clemenceau, policiers et parachutistes tirent sur les émeutiers qui refluent en désordre. Certains se retranchent dans une maison qui sera prise d’assaut au mortier. La majorité se disperse.
Dans la campagne, les mêmes scènes effrayantes se répètent et une trentaine de villages sont ainsi attaqués. Dans le centre minier d’El Halia, une soixantaine de familles Européennes vivaient harmonieusement au milieu de 2 000 musulmans. Modèle de l’intégration tant souhaitée par Soustelle.
En une journée, tous ces Pieds-Noirs sont égorgés par une foule démente : hommes, femmes, enfants tous tués par des personnes qui étaient pour certains leurs voisins depuis des années. Arrivés trop tard, les militaires ne peuvent que constater le massacre de ces familles et de plusieurs ouvriers musulmans. Là encore, les agents du FLN qui ont poussé la population à l’émeute, au crime observent de loin la fureur qu’ils ont déclenché.
En tout ce sont 123  personnes (dont 71 Européens) qui ont été assassinées le 20 août. Venu sur les lieux en urgence, le gouverneur Soustelle racontera:

« Les cadavres jonchaient encore les rues. Des terroristes arrêtés, hébétés, demeuraient accroupis sous la garde des soldats…. Alignés sur les lits, dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés (dont une fillette de quatre jours) offraient le spectacle de leurs plaies affreuses. Le sang avait giclé partout, maculant ces humbles intérieurs, les photos pendues aux murs, les meubles provinciaux, toutes les pauvres richesses de ces colons sans fortune.  »

La terreur change ensuite de camp. Les Pieds-Noirs, affolés, fous de colère et de douleur réclament vengeance et tuent aveuglément. A Philippeville, les hommes raflés, ou dénoncés sous la torture, sont amenés dans le stade puis mitraillés. A cette occasion, un spécialiste du renseignement, le capitaine Aussaresses se « distingue ». Aussaresses sera même félicité pour avoir anticipé l’émeute et fait désarmer des postes de Gendarmerie; empêchant ces armes de tomber dans les mains des manifestants.
Le préfet de Constantine Dupuch sauve lui des centaines de prisonniers,  menacés d’être lynchés par la foule, en les faisant embarquer dans des camions de l’armée. Une partie d’entre eux sera malgré tout tuée par la suite. Le bilan humain est terrible, peut être plus de 5 000 personnes en quinze jours !

Le FLN vient de remporter une victoire psychologique. La victoire, c’est à dire l’indépendance, ou l’écrasement sont désormais les seules voies possibles. Les violences et la répression féroce de l’armée française ont creusé un fossé de sang entre les deux communautés maintenant irréconciliables. De son côté, le gouverneur Soustelle refuse  de négocier avec les indépendantistes qualifiés de « barbares » et n’acceptera que l’élimination ou la capitulation des fellaghas.

 Terme de l’année 1955:

Au fil des semaines, Jacques Soustelle prend conscience que la situation en Algérie est en train de lui échapper.

En octobre, à son tour, l’Oranie s’embrase. La région d’Alger est encore calme mais les dirigeants du FLN sont en train de la transformer en base logistique pour les maquis.
Depuis quelques mois, le FLN dispose désormais d’une représentation politique au Caire où le régime du colonel Nasser fournit une aide militaire à la rébellion. A la conférence de Bandung en Indonésie qui regroupe  les nations « non alignées » (c’est à dire non alliées officiellement aux USA ou à l’URSS),  une délégation du FLN reçoit le soutien des pays du tiers-monde tandis qu’au siège de l’ONU à New York on commence à débattre de la « question algérienne ». Le conflit, progressivement, s’internationalise.

Le plan de réformes nécessaire pour réaliser l’intégration  est rejeté par l’Assemblée Algérienne. Pourquoi ? Les notables musulmans, par calculs politiques mais surtout par peur, ont massivement voté contre. Le FLN ayant menacé de mort ceux qui « collaboraient » avec les autorités françaises.
Soustelle se rend aussi compte que l’élite musulmane sur laquelle il comptait s’appuyer pour construire une nouvelle Algérie se réduit comme peau de chagrin. Des documents du FLN saisis par la Police, lui apprennent même que Ferhat Abbas, grande figure politique algérienne, est secrètement en contact avec la rébellion. Démoralisant.

Fin 1955, il y a plus de 200 000 soldats en Algérie et le gouvernement réfléchit à envoyer des hommes du  contingent, les jeunes faisant leur service militaire, en renfort. Les troupes d’auxiliaires algériens (harkis et moghaznis) sont recrutées en masse. De nouveaux régiments de parachutistes (1er et 3ème RPC) débarquent également avec à leur tête des officiers dont les noms resteront indissociables de la guerre d’Algérie: Salan, Massu, Bigeard, Trinquier…

L’année à venir sera terrible et verra l’intensification du conflit mais c’est une autre histoire…

Soldats du contingent arrivant dans le port d'Alger après la décision du gouvernement de Guy Mollet en 1956.
Soldats du contingent débarquant à Alger en 1956.

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    I. Algérie : En 1954, l’Algérie est divisée en départements (Alger, Constantine, Oran, Bône, Sahara) et, depuis 1944, tous les habitants de l’Algérie ont officiellement le statut de citoyens français.