11 septembre 1973 : Le Chili dans la tourmente

Il est fort probable qu’Allende instaure en quelques années un genre de régime communiste. Il s’agit là d’une de ces situations plutôt malheureuses pour les intérêts américains.  Henry Kissinger (discours le 16 septembre 1970).

Travailleurs de ma patrie je veux vous remercier de la loyauté que vous m’avez toujours manifestée, de la confiance dont vous avez investi un homme qui fut seulement l’interprète des grandes inspirations de justice, qui engagea sa vie à respecter la Constitution et la Loi. Salvador Allende, 11 septembre 1973.

Soldats assiégeant le Palais présidentiel de la Moneda à Santiago, le 11 septembre 1973

Doctrine Monroe et Guerre Froide :

Au XIXe siècle, le Président américain James Monroe théorise sur ce qui deviendra la nouvelle doctrine diplomatique des États-Unis. en considérant les pays d’Amérique Centrale et d’Amérique Latine comme appartenant à leur sphère d’influence et donc toute intervention européenne dans cette zone comme un acte hostile envers les États-Unis. En 1898, après une courte guerre, les États-Unis mettent fin à la présence espagnole dans l’île de Cuba qui bien qu’officiellement devenue indépendante devient dans les faits un protectorat américain. Les états d’Amérique du Sud constituent également des débouchés commerciaux pour les entreprises américaines qui finissent par en contrôler directement ou indirectement de larges pans de leur économie. Ces groupes industriels et les gouvernements américains s’immiscent aussi dans la politique intérieure en finançant  des journaux, des partis et des gouvernements « amis ». Ainsi, en 1910, la United Fruit Company possède la majorité des terres cultivables du Guatemala mais contrôle également l’eau, l’électricité, le transport ferroviaire et les activités portuaires, donnant un pouvoir certain pour influencer les gouvernements afin que leurs politiques correspondent aux intérêts de la compagnie.  C’est de cette situation de dépendance qu’est née l’expression de « République bananière ». La présence du canal de Panama permettant de relier le Pacifique et l’Atlantique accentue encore le poids stratégique de la région.

Carte du cône Sud de l’Amérique Latine issue de la revue l’Histoire. C’est l’époque des dictatures militaires au Brésil (depuis 1964), au Paraguay (depuis 1954), et en Bolivie (depuis 1964). En Argentine et en Uruguay les généraux prendront ouvertement le pouvoir respectivement à partir de 1966 et de 1973.

Mais au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’expansion du communisme, facilitée par les inégalités sociales et les problèmes économiques, en Amérique du Sud devient la principale source  de préoccupation de l’administration américaine.  La peur de la contagion communiste et la Guerre Froide justifient l’ingérence croissante des Etats-Unis dans les affaires des gouvernements d’Amérique Latine quitte souvent à bafouer les libertés publiques et tolérer le pire en matière de répression politique. C’est ainsi qu’en 1953, la CIA organise un coup d’Etat  au Guatemala, contre le Président Arbenz Guzman, permettant la mis en place d’une dictature militaire plus « respectueuse » des intérêts américains. Arbenz Guzman était en effet accusé de mener une dangereuse politique de rapprochement avec l’Union Soviétique. Il faut dire aussi que le gouvernement guatémaltèque préparait une réforme agraire défavorable aux intérêts de certaines multinationales dont la United Fruit Company. A noter que les deux frères John et Allen Dulles respectivement Secrétaire d’Etat et directeur de la CIA à l’époque étaient également actionnaires de la United Fruit Company.

En 1959, l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir à Cuba [I]Cuba: Dans les années 1950, Cuba est dirigé par le dictateur Batista réputé corrompu (les hôtels et casinos de l’île sont alors contrôlés par la Mafia américaine) et incapable de vaincre les guérilleros de Castro. Certains diplomates américains sont même tentés de soutenir Fidel Castro et d’abandonner Batista dans l’optique de préserver l’essentiel des intérêts  américains. Après 1959, Castro accapare tous les pouvoirs et met progressivement en place un régime communiste dictatorial. L’île sera au centre de deux graves crises de la Guerre Froide. Lorsque en 1960, la CIA tente un débarquement de rebelles pour renverser Castro (Crise dite de la Baie des Cochons) et lorsque en 1962 les Soviétiques entament l’installation de missiles nucléaire à Cuba (Crise dit des Fusées). Pendant des années la CIA tentera de déstabiliser le régime ou d’assassiner Castro. bouleverse la donne.  D’inspiration marxiste  les révolutionnaires cubains entendent mettre un terme à l’influence américaine sur l’île. L’embargo décidé par les États-Unis achève de précipiter Cuba dans le camp soviétique. Au début des années 1960, sous l’impulsion du Président Kennedy, la CIA renforce ses effectifs dans la région. L’administration américaine craint alors l’émergence en Amérique du Sud d’autres mouvements révolutionnaires, qui s’inspirant du modèle cubain pourraient tenter de renverser leur gouvernement. Pire encore, les Etats-Unis redoutent que Cuba serve de modèle d’inspiration à d’autres pays qui pourraient chercher à s’émanciper de la tutelle américaine. Et en effet, Cuba anime les mouvements révolutionnaires internationaux (Conférence de la Tricontinentale en 1966), soutient des rébellions en envoyant des armes et des conseillers dont le célèbre  Che Guevara. C’est d’ailleurs en tentant d’organiser une guérilla marxiste en Bolivie que le Che est capturé puis tué, en octobre 1966, par des forces spéciales boliviennes épaulées par leurs collègues américains.

Pour les États-Unis, les gouvernements sud-américains ne sont pas assez solides pour résister aux mouvements de contestations et aux guérillas qui commencent à s’organiser. Outre l’aide matériel, le Pentagone créé donc l’École militaire des Amériques dont le but est de former à la lutte contre-insurectionnelle ou contre-révolutionnaires des cadres supérieurs de l’Armée et de la Police provenant de plusieurs pays sud-américains : Salvador, Panama, Bolivie, Pérou, et Argentine notamment.  Les élèves sont formés aux États-Unis ou au Panama où ils reçoivent des cours sur la menace communiste. On leur apprend que l’armée ne doit plus se focaliser uniquement sur la défense des frontières extérieures du pays mais combattre un ennemi intérieur (guérilla, communiste, syndicaliste, militant étudiant…) et doit donc  devenir une force politique importante. Ces enseignements ne seront pas oubliés.

Le Chili et Allende.

Né en 1908, Salvador Allende, après des études de médecine, est engagé dans la vie politique depuis les années 30 au sein du Parti Socialiste. Après avoir occupé plusieurs postes ministériels, il échoue aux élections présidentielles de 1958 et 1964.

Le Chili est un des pays du cône Sud de l’Amérique Latine. C’est une étroite bande terre s’étendant du Pérou au Cap Horn coincée entre l’Océan Pacifique et la cordillère des Andes. Et qui compte en 1970 quelques 10 millions d’habitants. Le Chili est alors réputé pour être l’état le plus démocratique de la région connaissant depuis les années 1930 une vie politique relativement apaisée. L’exploitation des ressources minières (cuivre et nitrate) a permis d’importants progrès économiques, la construction d’infrastructures et une rapide urbanisation. Mais le pays souffre aussi de nombreuses difficultés et inégalités sociales. L’agriculture est insuffisante pour nourrir toute la population imposant ainsi l’importation de produits étrangers. L’économie dépend beaucoup des échanges avec les États-Unis qui achètent la majeure partie de la production de cuivre et dont les entreprises contrôlent une partie de l’industrie minière. Sur le plan social, les terres cultivables appartiennent souvent à des grands propriétaires et une partie de la population rurale préfère ainsi gagner les villes pour trouver du travail. On note la croissance rapide de bidonvilles ainsi que des tensions entre une élite économique qui domine la vie politique et une population ouvrière, minière et paysanne qui ne profite pas de la prospérité.

En 1963, le démocrate-chrétien [II]Les principaux partis politiques chiliens sont :
– le Parti national (droite conservatrice)
– la Démocratie Chrétienne (centre-droit)
Partis composants l’Unitad Popular :
– le Parti social-démocrate et le Mouvement d’Action Populaire Unitaire (centre-gauche)
– le Parti socialiste
– le Parti Communiste
Il faut aussi ajouter les syndicats qui soutiennent Allende.
  Eduardo Frei remporte les élections présidentielles contre le socialiste Salvador Allende. Le gouvernement de Frei tente une réforme agraire pour relancer la production et favoriser les petits propriétaires mais celle-ci échoue partiellement à cause de l’obstruction d’une partie des parlementaires et des grands propriétaires. De même les tentatives pour améliorer les conditions de vie des classes populaires n’aboutissent pas. La droite chilienne, par peur du communisme, refuse toute entreprise de modernisation et de changement tandis qu’une frange de la population, déçue par la démocratie chilienne et fascinée par l’expérience cubaine, se radicalise et aspire à une politique révolutionnaire. Lors des élections de septembre 1970, du fait de la Constitution, le Président Frei ne peut se représenter pour un nouveau mandat. Salvador Allende réussi cette fois à réunir autour de lui une large coalition (l’Unitad Popular) mêlant socialistes, sociaux-démocrates, et communistes. Le programme politique de Salvador Allende inquiète les Américains car pour la première un gouvernement en partie d’inspiration marxiste peut arriver légalement au pouvoir par des élections libres. Et même si Allende a plus l’allure d’un intellectuel bourgeois que d’un dangereux révolutionnaire extrêmiste. Comme ils l’avaient fait en 1964, à travers la compagnie ITT [III]ITT : International Telephone and Telegraph. La compagnie américaine possède au Chili de nombreux intérêts et sert d’intermédiaire pour le gouvernement américain lors du financement des opposants d’Allende et de certaines opérations clandestines de la CIA. Le groupe a aussi participé au financement de la campagne de réélection du Président Nixon en 1972. très présente au Chili, les États-Unis financent des journaux et les partis opposés à Allende.  On peut se demander si, indirectement, la CIA n’a pas aussi financé des groupuscules d’extrême droite tel Patria y Libertad. Les Américains commettent cependant une erreur en ne parvenant pas à permettre l’émergence à droite d’un candidat unique contre Allende ce qui affaiblit la droite en dispersant les voix. Certes avec seulement 35% des suffrages, Allende devance de peu son adversaire conservateur mais selon les règles de ce scrutin à un seul tour il peut devenir Président de la République après approbation des députés et sénateurs réunis en Congrès.

 Se débarrasser de « this son of a bitch »(Richard Nixon)

Le Président Richard Nixon (à gauche) et son Secrétaire d’Etat Henry Kissinger.

La nouvelle de la victoire d’Allende le 4 septembre 1970, provoque la colère du Président américain Richard Nixon [IV]Richard Nixon : Issu du parti Républicain, d’origine modeste et engagé dans la vie politique depuis les années 50, Nixon est élu Président des Etats-Unis en 1968. Surnommé par ses adversaires « Dick le tricheur »,  il a approuvé des bombardements massifs sur le Laos et le Cambodge (dans le contexte du conflit au Vietnam), le soutien aux dictatures sud-américaines et quelques coups « tordus » de la CIA. Méfiant, il avait pris l’habitude d’enregistrer les conversations de ses visiteurs à la Maison Blanche. Ce sont ces enregistrements qui plus tard permettront de prouver sa responsabilité dans le putsch de Pinochet. Cependant  il rencontre aussi quelques succès en politique extérieure (rapprochement avec la Chine, fin négociée de la guerre du Vietnam et un accord de désarmement avec l’URSS) et intérieure . Réélu facilement en 1972, la presse révèle qu’il a ordonné la pose de micros dans les locaux de son adversaire démocrate (scandale du Watergate) et il doit démissionner en 1974. qui ordonne à la CIA, en liaison avec son Secrétaire d’État5 Henry Kissinger, de tout faire pour empêcher Allende de devenir Président. Dans son style particulier, Nixon appelle à se débarrasser de   « this son of a bitch » . Outre que le gouvernement américain considère Allende comme un agent communiste, cette élection est aussi un « mauvais exemple » pour le reste de l’Amérique Latine. Elle est la preuve qu’un gouvernement marxiste peut arriver au pouvoir légalement via des élections, en respectant les règles démocratiques et non dans la violence d’une révolution.  Dans le contexte de la Guerre Froide, et aux yeux des Américains ceci est inacceptable, le Chili, selon eux, pouvant devenir un « nouveau Cuba ».  En pire, puisque contrairement à Cuba, petite île isolée, le Chili est un pays industrialisé au coeur de l’Amérique du Sud et donc en capacité d’aider tous les mouvements gauchistes et révolutionnaires de la région.

La Maison Blanche autorise la mise à disposition 10 millions de dollars auprès de la CIA pour mener des actions clandestines ant-Allende au Chili. Le compte-rendu déclassifié d’une réunion, du Comité des 40 en charge du suivi des opérations clandestines anti-communiste, présidée par Henry Kissinger le 8 septembre 1970 indique bien que l’option d’un coup d’état est déjà envisagée :

In accord with the agreement of those present, the Chairman directed that the Embassy be immediately requested for a cold-blooded assessment of:

(1) the pros and cons and problems and prospects involved should a Chilean military coup be organized now with U.S. assistance, and

(2) the pros and cons and problems and prospects involved in organizing an effective future Chilean opposition to Allende.

i.The Chairman stated that these assessments and recommendations should be available in time for 40 Committee consideration in a meeting to be convened on 14 Septembre.

L’opération prend le nom de « Track one » et est lancée dès l’annonce des résultats de l’élection avec pour objectif d’empêcher l’intronisation de Salvador Allende. Entre les résultats de la présidentielle en septembre et fin octobre, les autorités américaines font discrètement pression sur les élus du Congrès pour qu’ils invalident son élection. La compagnie ITT, l’ambassade américaine et des agents locaux de la CIA sont impliqués. En vain, car les parlementaires, soucieux de respecter la Constitution,  approuvent  l’élection de Salvador Allende.

Dès le 9 septembre 1970, William Broe responsable de la zone Occidentale de la CIA transmet un télégramme au chef de station à Santiago lui ordonnant de prendre contact avec des officiers de l’armée chilienne pour initier l’organisation d’un coup d’état (« golpe » en espagnol).

La CIA tente alors  un autre angle d’attaque en approchant des officiers, dont le général Roberto Viaux, afin qu’ils annulent les élections (opération « Track Two »).   Seul soucis, le chef de l’armée chilienne, le général René Schneider, bien que non socialiste, est lui légaliste et n’entend pas interrompre le processus démocratique. Le 24 octobre 1970, des officiers proches de Patria y Libertad tentent d’enlever le général Schneider. Celui-ci résiste et au cours d’un échange de coups de feu, il est mortellement blessé. L’annonce de la mort du général est un choc au Chili qui  consolide la position d’Allende. Du fait du scandale suite à cette bavure (les armes du commando ont été fournis par des agents de la CIA), l’opération « Track Two » est temporairement suspendue par la CIA.

Le 3 novembre 1970, Allende devient officiellement, et ce pour un mandant de 6 ans, président du Chili.

Allende : La Révolution par les urnes.

L’élection de Salvador Allende soulève de nombreux espoirs pour les populations défavorisées : pour la première fois un Président socialiste et réformiste est élu au Chili. Elle apporte la preuve que la révolution armée n’est pas l’unique moyen pour amener un gouvernement socialiste et marxiste au pouvoir.

En décembre 1971, Fidel Castro est invité officiellement au Chili. Allende et Castro sont amis depuis longtemps même si le président chilien ne partage pas les idées autoritaires et révolutionnaires de Castro.

Tout le long de sa présidence, Allende devra trouver un point d’équilibre au sein de sa coalition entre les revendications révolutionnaires de l’extrême gauche (MIR [V]MIR : Mouvement de la gauche révolutionnaire (Movimiento de Izquierda Revolucionaria). Fondé en 1965, le MIR est un mouvement regroupant des révolutionnaires marxiste-léninistes et des anarchistes qui souhaitent imiter l’action de Che Guevara. Après l’élection de Salvador Allende, le MIR renonce à la lutte armée. et Parti communiste), des marxistes radicaux et les positions modérées réformistes de certains socialistes. Ne disposant pas d’une majorité parlementaire, il lui  est nécessaire  d’aboutir à un compromis politique avec la Démocratie-chrétienne (centre-droit) pour espérer gouverner.

Les premières décisions du nouveau gouvernement concernent la relance de la réforme agraire en redistribuant de nombreuses terres agricoles (un millier de domaines sont démantelés) quitte pour cela à exproprier leurs détenteurs ainsi que des augmentations de salaires, l’amélioration de l’accès à l’université et une meilleure protection sociale et de la santé. En 1971, pour financer cette politique des banques et l’industrie minière (cuivre et nitrate) sont nationalisés par l’État qui indemnise partiellement leurs propriétaires. Plusieurs compagnies américaines et des industriels chiliens sont touchés par cette dernière décision et accusent le gouvernement chilien de vol et de spoliation.

En représailles, les États-Unis décident d’annuler leur aide économique au Chili et cessent toute importation de produits chiliens: l’aide économique annuelle américaine et de la banque mondiale passent de 100M$ en 1970 à 14M$ en 1973. A l’opposée, l’aide militaire américaine passe de 8M$ à 13M$ en 1973. Ceci est un coup dur, les États-Unis étant alors le premier partenaire économique du Chili. Curieusement la coopération et l’aide militaire demeurent elles en vigueur. En avril 1971, l’Unitad Popular remporte les élections municipales (51% des suffrages)  ce qui indique que le gouvernement d’Allende dispose alors d’un vrai soutien populaire.

Cependant, la visite de Fidel Castro en décembre 1971, est vécue comme une provocation par la droite conservatrice qui dénonce une « soviétisation » du Chili tandis que les centristes retirent leur soutien et adoptent désormais au Parlement une tactique d’obstruction aux projets de loi du gouvernement. La société chilienne se divise.

L’économie chilienne subie aussi le contrecoup de la politique de nationalisation avec la diminution forte des investissements étrangers. De plus, les cours mondiaux du cuivre, principale source de revenues du pays, s’effondrent.  Il est difficile de savoir, dans quelle mesure les autorités ou les compagnies américaines ont spéculé pour provoquer cette chute du prix du cuivre. Mais tout porte à croire que les États-Unis ont déjà engagé une lutte économique contre le Chili d’Allende. Des documents déclassifiés de la CIA attestent d’ailleurs que le gouvernement américain a encouragé les milieux d’affaires chiliens à affaiblir l’économie chilienne. En 1972, la situation économique se dégrade fortement et le blocage des prix, décidé pour freiner l’inflation (300% de hausse des prix), incite les producteurs à garder leurs produits ou à les revendre au marché noir ce qui provoque des pénuries. Le Chili plonge dans la récession avec une hausse des déficits et du chômage. 

La crise politique s’aggrave aussi. La presse d’opposition comme le groupe « El Mercurio » (journal partiellement financé par des capitaux américains), attaque violemment le gouvernement. Les manifestations, blocages ou grèves organisés par l’opposition à droite ou par de militants radicaux d’extrême gauche se multiplient avec souvent à la clef des affrontements violents. L’instabilité et les conflits sociaux gagnent progressivement tout le pays. Le paroxysme est atteint en octobre 1972, lorsque les camionneurs pour protester contre les nationalisations déclenchent, pendant trois semaines, une grève générale à travers le pays. Le Chili, pays étroit et montagneux, dépend presque exclusivement du réseau routier pour la circulation des biens. Les routes étant bloquées par les camionneurs, le pays est paralysé, la nourriture est rationnée à cause des pénuries et de longues files d’attente se forment devant les magasins ce qui attise la colère de la classe moyenne chilienne. Dans les quartiers populaires de Santiago, des comités se créent pour organiser tant bien que mal le ravitaillement. Des émeutes éclatent dans les grandes villes.

On découvrira plus tard que la CIA versait de l’argent aux meneurs de la grève afin qu’ils fassent durer le mouvement et ainsi attiser la colère populaire contre le gouvernement.

Manifestation en 1972 de partisans de l’Unitad Popular. L’inscription sur l’affiche signifie : « Crée un pouvoir populaire ». Dans le secteur industrie, les ouvriers et les syndicalistes se réunissent en comités  afin d’organiser l’occupation des usines et discuter des mesures à prendre. 

Les ouvriers se mettent en grève, forment des comités d’autogestion et occupent leurs usines. Pour eux, il s’agit non pas de s’opposer au gouvernement socialiste mais d’exiger la poursuite des nationalisations et des mesures bien plus radicales contre les patrons et les grands propriétaires. Appuyés par une partie du Parti Communiste et le MIR, certains réclament des armes pour résister face à la menace « fasciste » et réactionnaire. Ce mouvement accroit la confusion et les problèmes économiques. Une partie de la société chilienne et la droite modérée craignent désormais la formation de milices ouvrières et une révolution violente à la « bolchevique ». Les actions intempestives de l’extrême gauche  sapent l’autorité du gouvernement et donne l’impression que le Président Allende, dépassé par les événements, ne contrôle plus sa coalition.

L’Armée déchirée entre légalisme et tentations putschistes :

À la fin du XIXe siècle, le Chili, comme beaucoup d’États d’Amérique Latine,  a massivement encouragé l’immigration d’européens afin de résoudre les problèmes démographiques et valoriser des terres jusqu’alors inexploitées.  C’est ainsi qu’une importante colonie allemande a pu se constituer à l’intérieur du pays. Pour se moderniser, l’armée chilienne s’est aussi équipée « à l’allemande » et a fait appel à des conseillers militaires. En effet, depuis sa victoire contre la France en 1870, l’Allemagne et  son modèle militaire « prussien » étaient à la mode et appréciés en Amérique du Sud. Dans les années 1930, de nombreux militaires et dirigeants chiliens demeurent germanophiles et sont aussi séduits par le nazisme allemand et le fascisme italien. Cette influence passée associée à un anti-communisme virulent reste présente au sein d’une partie des officiers qui aspire à un pouvoir autoritaire. A noter que contrairement à d’autres pays sud-américains, l’armée chilienne n’a pas de tradition putschiste et est restée globalement légaliste depuis l’indépendance du pays. Chaque année une centaine d’officiers chiliens suivent des formations auprès de l’armée américaine ce qui permet de nouer des contacts.

En novembre 1972, pour rassurer l’opinion publique Allende fait entrer des militaires dans son gouvernement. Le général Carlos Prats, chef de l’armée, devient ainsi ministre de l’Intérieur ce qui permet de calmer provisoirement les tensions et de mettre fin aux différentes grèves sans pour autant calmer  l’extrême gauche qui critique ces nominations. Lors des élections législatives de mars 1973, la gauche résiste assez bien face à l’union des partis de droite en obtenant 44% des voix. Allende ne dispose pas, cependant, d’une majorité d’élus pour gouverner et doit chercher un accord avec la Démocratie Chrétienne. Les négociations échouent du fait de l’intransigeance d’une partie de l’extrême gauche et des hésitations du centre-droit à coopérer avec les socialistes. D’un autre côté, le Parti National et la Démocratie Chrétienne ne disposent pas de suffisamment de députés pour destituer Allende (une majorité des ⅔ est nécessaire). La situation politique est bloquée et à droite nombreux sont ceux qui estiment que seul un coup de force pourrait résoudre la crise actuelle. De fait, depuis plusieurs mois, de nombreux officiers supérieurs complotent en liaison avec le groupuscule Patria Y Libertad et des représentants des partis de droite.

Photo du président au côté du général Pinochet après sa nomination comme commandant en chef des Armées.

Le 29 juin 1973, un régiment de blindés se soulève à Santiago et tente de s’emparer du Palais de la Moneda résidence du Président de la République. Le général Carlos Prats se démène pour organiser la défense du palais et convaincre les autres généraux, pour la plupart attentistes, à réagir et à s’opposer aux putschistes.  Finalement, la tentative échoue et les soldats rebelles acceptent de se rendre. Ce putsch raté apparaîtra par la suite comme une sorte de « répétition générale » qui livre aux comploteurs des informations importantes notamment le fait que les quartiers populaires et l’extrême gauche ne se sont pas vraiment mobilisés pour défendre Allende.
Les tensions dans le pays ne diminuent pas, les grèves reprennent auxquelles s’ajoutent les actes de sabotage et les attentats commis par les membres de Patria Y Libertad. Le 27 juillet, le propre aide de camp d’Allende, le capitaine de vaisseau Arturo Araya, est ainsi assassiné. La mort d’Araya est un coup dur pour le président chilien qui perd un officier loyal et une source d’information au sein de l’armée, notamment à l’intérieur de la Marine  et de la base de Valparaiso où les militaires complotent presque ouvertement contre Allende. L’influence de corps d’armée est importante car les unités de la Marine et l’Armée de l’Air sont les plus prestigieuses et puissantes de l’armée.
En aout 1973, victime d’une campagne de diffamation et de l’hostilité de la majorité de ses collègues officiers, le général Prats décide de démissionner de ses fonctions. Salvador Allende nomme alors à la tête des armées, un homme à la réputation légaliste et modéré : le général Augusto Pinochet.
Fin août, la Démocratie Chrétienne rompt définitivement les négociations avec le gouvernement Allende et fait voter au Parlement une motion déclarant que : « le gouvernement est inconstitutionnel et illégal ». Ce faisant les députés légitiment à l’avance toute action de l’Armée  visant à renverser le Président Allende. Cherchant à reprendre l’initiative politique, Salvador Allende confie au général Pinochet, en qui il a toute confiance, son intention d’annoncer le 11 septembre  un référendum afin de solliciter l’approbation du peuple.

Le Coup d’Etat :

Le général Pinochet a suivi une carrière classique au sein de l’Armée sans briller ni démériter particulièrement. Mais derrière son profil d’officier légaliste, il dissimule une ambition carriériste et une soif de pouvoir démesurée.

Le 8 septembre, un rapport de la CIA informe la Maison Blanche que dans les 48 heures, l’Amiral José Nerino  va entrer en rébellion en s’appuyant sur des unités de la base navale de Valparaiso et à partir de là marcher sur Santiago. Le rapport indique aussi que des contacts ont été établis avec le général Pinochet et que si celui-ci assure aux comploteurs que l’armée de Terre ne s’opposera pas à l’action de la Marine, son support actif  au putsch n’est pas acquis. Ceci laisse entendre que Pinochet attend de voir comment vont évoluer les événements avant de rallier le camp vainqueur.

Le 10 septembre 1973, comme chaque année, les marines américaines et chiliennes procèdent à des exercices communs. Ces manœuvres militaires permettent de mobiliser et de déployer des unités sans éveiller l’attention des autorités civiles. Là encore l’implication des Etats-Unis pose question car à ce stade le gouvernement américain ne pouvait pas ignorer que le coup d’État était imminent. L’US Navy a t’elle apporté son aide en fournissant un soutien logistique ou des moyens de communications ?

Le 11 septembre, à 05h00 du matin, conformément au plan, les troupes d’infanterie de marine débarquent dans le port de Valparaiso. La ville tombe sans résistance, les officiers loyalistes sont arrêtés, et les quartiers populaires encerclés tandis que les communications sont coupées. Progressivement l’opération militaire s’étend à l’ensemble du pays et à 06h00 le Président Allende est informé qu’un coup d’État est vraisemblablement en cours. Il tente de rallier les militaires fidèles et d’organiser la défense du Palais présidentiel de la Moneda. Parallèlement, les putschistes entrent en action dans Santiago en prenant le contrôle des radios, et des points stratégiques de la capitale afin de prévenir toute réaction des partisans d’Allende. Un ultimatum est adressé au Président Allende afin qu’il démissionne; un avion étant à sa disposition pour quitter le pays. Cette proposition est un piège, les conjurés n’ayant pas l’intention de laisser le président quitte le pays vivant. A 08h15, dans son dernier discours à la radio, Salvador Allende refuse de fuir lançant dans un appel pathétique son intention de demeurer à la Moneda conformément au mandat que lui a confié le peuple chilien :

Peu après la Radio passée aux mains des putschistes annonce la formation d’une junte7  militaire  constituée de généraux de l’Armée, de la Marine et des Carabiniers et qui détient désormais tous les pouvoirs. Salvador Allende se trouve encore au Palais de la Moneda protégé seulement par quelques dizaines de gardes du corps. A 09h00, le palais présidentiel est assiégé par des chars et des soldats et toute résistance semble dès lors désespérée car ailleurs dans la capitale, l’armée rencontre peu de résistance. C’est vers 10h, que le président chilien apprend le ralliement du général Augusto Pinochet à la rébellion. Un coup dur car jusqu’alors, Allende était persuadé, que le général avait été arrêté ou exécuté par les conjurés.

Derniers instants du Président Allende (à gauche). Coiffé d’un casque et armée d’un fusil mitrailleur AK47 offert par Fidel Castro, il participe à la défense du Palais présidentiel assiégé par les putschistes.
Vers midi, deux avions de chasse larguent, à plusieurs reprises, des bombes sur le palais qui prend feu. A 14h, les derniers partisans d’Allende négocient une reddition et les soldats peuvent librement envahir le bâtiment. A l’étage, dans l’un des bureaux, étendu sur le sol ils découvrent le corps inerte de Salvador Allende. Le président chilien s’est suicidé avec son arme.
A 14h00, les combats autour du Palais de la Moneda cessent. Les derniers défenseurs du Président Allende capitulent et sont faits prisonniers par les soldats putschistes.

Pour justifier leurs actions a posteriori, les généraux putschistes prétendent avoir empêché l’application d’un plan (le « Plan Z ») fomenté par les partisans d’Allende et les communistes qui visait à assassiner la totalité de l’État-major puis à déclencher une révolution violente. On l’apprendra plus tard, les documents rendus public et présentés comme  « preuves » du complot sont des faux fabriqués de toutes pièces. La CIA niera avoir aidé, directement, à la fabrication de ces prétendues preuves mais reconnaîtra que certains de ses contacts chiliens ont participé à la désinformation du « Plan Z »… Ce qui est sûr en tout cas, c’est que les rumeurs de l’existence d’un « Plan Z » ont permis, au moment crucial, de faire basculer les officiers indécis dans le camp des putschistes et donc d’assurer la réussite du coups d’état.

L’installation de la Junte chilienne :

Symbole de ce putsch : le Stade National de Santiago est transformé en vaste camp d’internement. Des images dramatiques qui resteront dans les mémoires.

Dans la foulée du coup d’État, les quatre généraux représentant les différentes armées et la gendarmerie instaurent une junte [VI]Junte: Mot d’origine espagnole (junta) pour désigner des assemblées ou des réunions. De manière contemporaine, ce terme désigne, en Amérique Latine, des gouvernements majoritairement composés d’officiers militaires. militaire qui s’empare de tous les pouvoirs. Parmi eux, le général Pinochet s’impose rapidement et prend la tête de la junte. Dans un premier temps, une partie de la population même dans les tranches modérées et de la classe moyenne accueille assez favorablement l’arrivée de l’armée au pouvoir qui doit permettre la fin de l’anarchie, l’arrêt des grèves et le retour à l’ordre.

L’état d’urgence est proclamé, un couvre-feu est instauré tandis que le pouvoir judiciaire passe aux tribunaux militaires qui imposent la loi martiale. Le Chili s’enfonce dans la dictature militaire. Rapidement, des centaines d’adversaires, ou supposés tels, de la junte (syndicalistes, étudiants, militants socialistes, officiers restés loyaux) sont arrêtés arbitrairement et bien souvent maltraités, torturés. On dénombre des centaines de « disparitions » : des opposants  détenus dans des casernes ou exécutés sans jugement  puis enterrés dans un lieu tenu secret. Leurs familles ne seront jamais informées et pendant des années ignoreront tout de leur sort. Dans tout le pays, des casernes sont transformées en bagne ou en centres d’internement et d’interrogatoire. Le stade National de Santiago est réquisitionné pour regrouper les opposants de la junte et beaucoup y seront torturés ou fusillés dans les vestiaires ou les sous sols du stade. A la fin de l’année 1973, on recensera près de 8 000 prisonniers politiques, environ 1 500 personnes assassinées par l’armée ou la police chilienne et des milliers d’autres contraintes à l’exil ou expulsées du pays.

La Culture est aussi victime de la répression. Dans les rues de Santiago, les militaires brûlent des livres d’auteurs considérés comme subversifs, marxistes ou immoraux. La maison de Prix Nobel de littérature, Pablo Neruda [VII]Pablo Neruda : Célèbre poète chilien, très engagé en faveur des républicains lors de la Guerre d’Espagne et favorable aux idéaux communistes. Il milite en faveur de son ami Salvador Allende jusqu’au putsch de septembre 1973 où il envisage de s’exiler. Ses obsèques seront très suivies et seront la première manifestation publique d’opposition à la dictature. En 2015, après une enquête la Justice chilienne estime aujourd’hui que « la thèse de l’empoisonnement du poète ne peut être exclue » . est saccagée. Hospitalisé en urgence, le poète chilien mourra d’ailleurs le 23 septembre 1973 à l’âge de 69 ans, officiellement de maladie même si des doutes subsistent. Le chanteur Victor Jara [VIII]Victor Jara: En 2013, la Justice chilienne entame des poursuites contre une dizaine d’anciens militaires soupçonnés d’être impliqués dans la mort du chanteur. qui avait lui aussi était un soutien d’Allende est interné dans le stade de Santiago le jour du putsch. Après avoir été torturé et mutilé par des soldats, il est abattu d’une rafale de mitraillette.

Même s’ils en condamnent les excès, les représentants de la Démocratie-Chrétienne ont d’abord approuvé le coup d’État espérant que l’Armée rétablirait l’ordre puis rendrait ensuite rapidement le pouvoirs aux civils. Ils doivent vite déchanter, maintenant que le pouvoir leur appartient, les généraux ont bien l’intention de gouverner et ce sans tolérer la moindre contestation. La presse est muselée, la censure s’impose et le Parlement est suspendu. En 1976, le Parti de Démocratie-Chrétienne comme l’ensemble des partis politiques seront interdits. Les partisans du centre-droit rejoindront alors définitivement les anciens partisans d’Allende dans l’opposition à la dictature.

La junte institue  une police politique secrète confiée au général Manuel Contreras, sous le nom de DINA (Dirección de Inteligencia NAcional). La DINA sera responsable de la traque des opposants, et des assassinats politiques y compris en dehors du Chili   L’orientation idéologique des nouveaux dirigeants chiliens est clairement d’extrême droite voire même pour certains néo-fasciste. C’est ainsi que la DINA recrute au sein du partie d’extrême droite Patria Y Libertad ainsi que parmi les anciens nazis ayant trouvé refuge au Chili après guerre.

 

Les nouveaux maîtres du Chili avec au centre leur chef : le général Augusto Pinochet.
Les nouveaux maîtres du Chili avec au centre leur chef : le général Augusto Pinochet

À l’étranger, la nouvelle du coup d’État et ses conséquences provoquent la stupeur et l’indignation. L’URSS et l’ensemble des pays socialistes rompent aussitôt leurs relations diplomatiques avec  le Chili. La plupart des pays occidentaux s’inquiètent du sort réservé aux opposants du nouveau régime. L’ambassade de France à Santiago accueillera d’ailleurs des Chiliens pourchassés et les aidera à quitter le Chili comme réfugiés politiques. La réaction officielle américaine est plus embarrassée. Si les États-Unis ne peuvent officiellement approuver la répression ils mais ne tardent pas à rétablir des relations diplomatiques cordiales et à octroyer une aide économique et militaire massive au Chili.

Dans les sous-sols du stade National de Santiago, des prisonniers sont amenés en interrogatoire par les carabiniers. Photo prise par le journaliste David Burnett.

Conclusion :

La première question qui vient est de se demander : quelle est la responsabilité du gouvernement américain dans cette tragédie ? Depuis le début des années 2000, la CIA a déclassifié une partie des archives concernant cette période permettant de lever une partie du voile. On sait avec certitude que la CIA a financé l’opposition à Allende et des mouvements d’extrêmes droite et a encouragé les tentatives de rébellion de certains officiers en 1970. Tentatives qui ont débouché sur l’assassinat d’un officier légaliste, le général Schneinder.  Et qu’en est il de la préparation du putsch de 1973 ? Les documents déclassifiés ne révèlent pas l’implication directe de l’administration Nixon dans la préparation du coup d’État. Néanmoins, il est prouvé que les Américains ont maintenu des liens avec les officiers chiliens puisque dès le 7 septembre 1973,  la CIA et la DIA avertissent la Présidence de l’imminence d’un putsch militaire et de la date prévue à savoir le 10 septembre. Les noms des conjurés et leur plan sont mêmes connus.  Le gouvernement américain aurait donc pu dissuader les généraux d’agir ou même avertir le gouvernement légal d’Allende de la menace qui pèse sur lui.

Télégramme de la DIA (service secret de l’US Army) daté du 8 septembre 1973 indiquant l’imminence d’un putsch militaire. Prévu initialement le 10 septembre, les comploteurs reportent finalement le déclenchement de 24h.

Rapport de la CIA daté du 11 septembre et adressé au cabinet du Président Nixon indiquant qu’un coup d’état va avoir lieu contre Allende. Sollicité par les comploteurs, l’agent local de la CIA ne s’engage pas sur un soutien direct des USA mais ne dissuade pas non plus les putschistes d’agir.

A minima, les États-Unis sont coupables, en imposant des mesures de rétorsion économique, d’avoir attisé l’agitation sociale puis  d’avoir laissés faire si ce n’est encouragés les généraux à conspirer contre Allende puis en continuant d’apporter un soutien politique, militaire et économique la dictature pendant plusieurs années. Portant donc une part de responsabilité dans les crimes de la junte : 130 000 personnes emprisonnées, 40 000 victimes de torture, 3 200 exécutions dont 1 500 personnes disparues. Ce n’est qu’en 1990 que Augusto Pinochet sera contraint de remettre le pouvoir à un civil mais restera jusqu’en commandant en chef de l’armée lui garantissant de conserver une influence dans la vie politique et lui assurant une impunité. Si depuis la fin de la dictature, l’armée chilienne ne se mêle plus de la vie politique, le poids de la dictature se fait encore sentir en 2023 : des familles cherchent encore à savoir ce qui est arrivé à des proches disparus pendant la dictature et le Chili éprouve des difficultés à adopter une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1980 héritée des années Pinochet.

 Cependant et sans absoudre les militaires chiliens de leurs actes,  les causes de ces événements sont aussi à rechercher au sein même de la société chilienne. En refusant d’aboutir à un compromis avec Allende puis en acceptant l’idée qu’un coup de force militaire pourrait rétablir l’ordre les dirigeants de la démocratie-chrétienne portent aussi leur part de responsabilité. De même que les membres du Parti Communiste et du MIR qui par leurs revendications révolutionnaires ont affaibli la position d’Allende, suscité la peur d’une partie de la population et finalement involontairement légitimé le coup d’état. Salvador Allende lui même a commis des erreurs en gestion économique et sur le plan politique. Le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba puis l’invitation de Fidel Castro pendant plusieurs semaines au Chili sont apparues comme des provocations à la fois pour les États-Unis et une partie de la société chilienne. En usant trop souvent de son droit de gouverner par décrets sans passer par le Parlement, il a dressé contre lui la majorité des élus du centre-droit et affaibli les chances d’un accord politique avec eux. Enfin et surtout il n’a pas su (ou pas pu) prendre la mesure des troubles qui agitaient l’armée et des tentations putschistes d’une partie des officiers.

En 1976, Henry Kissinger se rend officiellement au Chili. Si il prononce un discours en faveur des droits de l’Homme, en privé, le Secrétaire d’Etat américain apporte son soutien à l’action politique du général Pinochet.

 

 

 

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    I. Cuba: Dans les années 1950, Cuba est dirigé par le dictateur Batista réputé corrompu (les hôtels et casinos de l’île sont alors contrôlés par la Mafia américaine) et incapable de vaincre les guérilleros de Castro. Certains diplomates américains sont même tentés de soutenir Fidel Castro et d’abandonner Batista dans l’optique de préserver l’essentiel des intérêts  américains. Après 1959, Castro accapare tous les pouvoirs et met progressivement en place un régime communiste dictatorial. L’île sera au centre de deux graves crises de la Guerre Froide. Lorsque en 1960, la CIA tente un débarquement de rebelles pour renverser Castro (Crise dite de la Baie des Cochons) et lorsque en 1962 les Soviétiques entament l’installation de missiles nucléaire à Cuba (Crise dit des Fusées). Pendant des années la CIA tentera de déstabiliser le régime ou d’assassiner Castro.
    II. Les principaux partis politiques chiliens sont :
    – le Parti national (droite conservatrice)
    – la Démocratie Chrétienne (centre-droit)
    Partis composants l’Unitad Popular :
    – le Parti social-démocrate et le Mouvement d’Action Populaire Unitaire (centre-gauche)
    – le Parti socialiste
    – le Parti Communiste
    Il faut aussi ajouter les syndicats qui soutiennent Allende.
    III. ITT : International Telephone and Telegraph. La compagnie américaine possède au Chili de nombreux intérêts et sert d’intermédiaire pour le gouvernement américain lors du financement des opposants d’Allende et de certaines opérations clandestines de la CIA. Le groupe a aussi participé au financement de la campagne de réélection du Président Nixon en 1972.
    IV. Richard Nixon : Issu du parti Républicain, d’origine modeste et engagé dans la vie politique depuis les années 50, Nixon est élu Président des Etats-Unis en 1968. Surnommé par ses adversaires « Dick le tricheur »,  il a approuvé des bombardements massifs sur le Laos et le Cambodge (dans le contexte du conflit au Vietnam), le soutien aux dictatures sud-américaines et quelques coups « tordus » de la CIA. Méfiant, il avait pris l’habitude d’enregistrer les conversations de ses visiteurs à la Maison Blanche. Ce sont ces enregistrements qui plus tard permettront de prouver sa responsabilité dans le putsch de Pinochet. Cependant  il rencontre aussi quelques succès en politique extérieure (rapprochement avec la Chine, fin négociée de la guerre du Vietnam et un accord de désarmement avec l’URSS) et intérieure . Réélu facilement en 1972, la presse révèle qu’il a ordonné la pose de micros dans les locaux de son adversaire démocrate (scandale du Watergate) et il doit démissionner en 1974.
    V. MIR : Mouvement de la gauche révolutionnaire (Movimiento de Izquierda Revolucionaria). Fondé en 1965, le MIR est un mouvement regroupant des révolutionnaires marxiste-léninistes et des anarchistes qui souhaitent imiter l’action de Che Guevara. Après l’élection de Salvador Allende, le MIR renonce à la lutte armée.
    VI. Junte: Mot d’origine espagnole (junta) pour désigner des assemblées ou des réunions. De manière contemporaine, ce terme désigne, en Amérique Latine, des gouvernements majoritairement composés d’officiers militaires.
    VII. Pablo Neruda : Célèbre poète chilien, très engagé en faveur des républicains lors de la Guerre d’Espagne et favorable aux idéaux communistes. Il milite en faveur de son ami Salvador Allende jusqu’au putsch de septembre 1973 où il envisage de s’exiler. Ses obsèques seront très suivies et seront la première manifestation publique d’opposition à la dictature. En 2015, après une enquête la Justice chilienne estime aujourd’hui que « la thèse de l’empoisonnement du poète ne peut être exclue » .
    VIII. Victor Jara: En 2013, la Justice chilienne entame des poursuites contre une dizaine d’anciens militaires soupçonnés d’être impliqués dans la mort du chanteur.