De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique…
Extrait du discours de Churchill à Fulton, le 5 mars 1946.
Le 5 mars 1946, Winston Churchill est invité au Westminster College de Fulton aux États-uns. En présence du président américain Truman, il prononce un discours historique, en dénonçant la mainmise soviétique sur l’Europe de l’Est et la menace communiste dans le monde. Tout en affirmant que l’influence communiste demeure embryonnaire dans l’Empire britannique et aux États-Unis. A l’époque, plusieurs faits confirment les inquiétudes de Churchill. En Iran, les Soviétiques tardent à évacuer leur zone d’occupation et tentent de susciter des mouvements de sécessions dans les régions du nord. Dans Vienne et Berlin, désormais capitales des trafics et de l’espionnage, occupées conjointement par les Occidentaux et les Soviétiques les heurts sont fréquents entre les anciens alliées. Et enfin, il apparaît clairement que les nouveaux gouvernements d’Europe de l’Est sont tous, de près ou de loin, inféodés à Moscou.
A noter que ce discours offensif déplait au gouvernement britannique (Churchill n’est plus Premier Ministre depuis juillet 1945) car contraire à sa politique d’apaisement vis à vis de l’Union Soviétique. Truman, au contraire, approuve ces propos qui vont dans le sens de la nouvelle diplomatie américaine.
Retour donc sur les événements qui marquèrent l’arrivée des communistes au pouvoir en Europe de l’Est.
La naissance du bloc communiste : les satellites de Moscou.
En 1945, les partis communistes (PC) sont globalement minoritaires dans les pays libérés par l’Armée Rouge. Les nouveaux dirigeants imposés par les Soviétiques (Ulbricht en Allemagne de l’est, Rákosi en Hongrie, Gheorghiu-Dej en Roumanie…) ont vécu pendant des années en exil à Moscou. A Sofia, bien que citoyen soviétique mais d’origine bulgare, Gueorgui Dimitrov devient le Secrétaire Général du Parti Communiste. C’est un révolutionnaire professionnel engagé dans le communisme depuis les années 20, un proche de Staline et surtout l’ancien chef du Komintern [I]Komintern : Abréviation de « Internationale Communiste » (Kommounistitcheskiï internatsional en russe). Cette organisation crée en 1919 a pour but d’unifier l’action de tous les partis communistes et d’aider les mouvements révolutionnaires dans le monde. Progressivement les délégués du Komintern doivent veiller à l’alignement idéologique des différents PC sur l’Union Soviétique et mener des missions d’espionnage. Le Komintern, officiellement, est dissous en 1943 puis remplacé en 1947 par le Kominform.
Survivants des purges qui ont emporté tant de communistes européens dans les années 30, ces hommes se sont imprégnés d’une puissante discipline idéologiques et d’une loyauté sans faille envers Staline. Convaincus que le capitalisme est responsable de la guerre et de la montée du fascisme (Crise de 1929, complicités entre le patronat allemand et Hitler…), ils croient en la justesse du système soviétique et sont donc déterminés à créer une nouvelle société. Ils sont cependant très peu connus dans leur pays d’origine, et pour la plupart peu populaires. Leur pouvoir est donc entièrement dépendant de la bonne volonté des Soviétiques et plus particulièrement de Staline.
Cependant les PC bénéficient, contrairement à leurs concurrents des partis politiques traditionnels, de relations privilégiées avec les forces d’occupation soviétiques. Ils peuvent ainsi contrôler le rationnement, la reconstruction des villes, distribuer des postes dans les administrations. Les populations comprennent que l’adhésion au PC est le meilleur moyen pour survivre et progresser dans la nouvelle société qui s’esquisse. Des fonctionnaires ou policiers compromis avec l’occupant nazi ou le fascisme essayent aussi de se refaire une virginité politique en devenant membres du Parti. Les communistes accueillent discrètement mais assez bien ces hommes compétents nécessaires au fonctionnement de l’État. Ils se montreront très zélés à servir ce nouveau régime, d’autant plus qu’à tout moment on peut leur rappeler leur passé gênant. A noter que les Anglo-saxons agiront de même en Allemagne de l’Ouest avec d’anciens nazis.
Pour les Soviétiques, la priorité est d’établir autour de l’URSS un « glacis » de pays amis afin de se protéger d’une nouvelle invasion et donc d’obtenir des pays d’Europe de l’Est des traités d’alliance ainsi que la création de bases militaires russes sur leur sol. Les questions purement idéologiques sont dans un premier temps secondaires. Pensant ainsi que la division de l’Allemagne sera temporaire, Staline retarde la formation d’un gouvernement est-allemand respectant aussi les accords avec les Alliés. Les communistes ne sont autorisés à s’organiser que dans la mesure où cela facilite l’occupation soviétique en Allemagne. L’absence de gouvernement officiel, permet aux Soviétiques de piller leur zone, de démanteler des usines pour expédier les machines de production et les spécialistes en URSS.
Staline estime, que grâce au nouveau prestige de l’URSS, à la lutte contre le fascisme, la propagande et l’annonce de profondes réformes sociales les PC peuvent arriver au pouvoir par les élections. Il est ainsi décidé de mettre l’accent sur le partage des terres agricoles en faveur des petits paysans et la nationalisation des grandes entreprises. Les communistes, par tactique, adoptent donc un programme très modéré quitte à réaliser des entorses avec les grands principes du communisme stalinien. En effet, tout doit être fait pour rassurer les socialistes dont les communistes ont encore besoin pour gouverner et surtout séduire les électeurs.
Cela doit avoir l’air démocratique, mais nous devons tout contrôler (Walter Ulbricht, 1945)
Cependant, en Bulgarie, et en Roumanie, pays autrefois alliés à l’Allemagne nazie, et abandonnés par les Alliés à la zone d’influence soviétique, les communistes, ultra-minoritaires, ne s’embarrassent pas d’un semblant d’adhésion démocratique. Soutenus par l’Armée Rouge, ils s’imposent dès 1946 à la suite d’un coup d’État. Dans le reste de l’Europe Orientale, les PC forment avec les sociaux-démocrates, les socialistes, et le centre-droit des coalitions d’Union Nationale où les communistes ne sont pas majoritaires mais occupent les postes clefs : Intérieur (contrôle de la Police, de la presse), Justice, et Agriculture. Et lorsqu’ils ne peuvent détenir les postes de direction, les communistes s’arrangent pour placer leurs hommes comme adjoints. Les Soviétiques se chargeant directement de l’organisation et la formation des cadres de l’armée et des services secrets.
En dépit de la propagande omniprésente, de la présence « bienveillante » de l’Armée Rouge, et de l’intimidation de l’opposition, les communistes échouent à obtenir la majorité absolue leur permettant de gouverner seuls. En Hongrie, Allemagne, Tchécoslovaquie, Pologne les partis traditionnels dits « bourgeois » obtiennent de bons scores aux élections, ce qui obligent les PC à maintenir les gouvernement de coalitions..
Une stratégie plus brutale se met alors en place. Sous prétexte de chasser les anciens collaborateurs, la Police est épurée de ses membres supposés hostiles aux communistes. Menacés ou accusés d’anti-soviétisme voire d’avoir collaborés avec les nazis, les partis de droite (ex: le Parti paysan en Pologne) sont dissous et leurs dirigeants emprisonnés. Les communistes proposent alors à leurs alliés de gauche de fusionner leurs partis dans un Bloc de rassemblement. Une partie accepte volontairement en échange de fonctions politiques : Président de la République, chef de gouvernement, Ministre des Affaires Étrangères… sans se rendre compte que dans ce système naissant d’État-Parti seul le chef, le Secrétaire Général, du Parti détient la réalité du pouvoir. Le dirigeant hongrois communiste Matyas Rakosi invente ainsi la tactique du salami : diviser l’opposition tranche par tranche jusqu’à la faire disparaître. Le but des communistes est donc d’infiltrer les partis « bourgeois », de susciter des scissions, parmi leurs adversaires politiques afin de mieux les absorber puis de les éliminer dans un second temps. Ceux qui acceptent la fusion reçoivent des postes certes prestigieux mais sans réel pouvoir tandis que les opposants sont discrédités par une presse aux ordres, exclus ou victimes de la répression de la Police politique crée et contrôlée par les communistes.
Les élections suivantes sont donc sans surprise : l’unique liste présentée (Parti ouvrier unifié polonais, Parti des travailleurs hongrois, Parti socialiste unifié d’Allemagne etc…) remporte l’immense majorité des votes (scores ≈ 95%). La route vers la dictature est désormais grande ouverte. Rapidement, vers 1949, des Constitutions sur mesure instaurent la dictature du prolétariat et la nouvelle Démocratie Populaire. Elles officialisent le rôle prépondérant du Parti dans tous les aspects de la vie publique : la culture, la presse, l’éducation, les organisations de la Jeunesse, les syndicats d’État … La toute puissance des services de sécurité est aussi affirmée en les érigeant en gardiens protecteurs du Parti et de l’État.
Les communistes ont désormais les mains libres pour entamer la « construction du socialisme réel », en reproduisant fidèlement le modèle soviétique et sans prendre en compte le contexte particulier de chaque pays. Au programme : industrialisation rapide, collectivisation des fermes, planification stricte de l’économie, et mise en place de quotas de productions ambitieux s’accompagnant de cadences de travail éprouvantes pour les ouvriers. Certes à la même époque, des pays occidentaux adoptent un modèle d’État Interventionniste via la nationalisation d’entreprises et des plans d’investissement mais en étant bien moins « totalitaire ». L’industrie lourde (acier, charbon, énergie) est privilégiée devant la production de biens de consommation. Si la production augmente, le manque de biens courants accroit les pénuries. Pire la collectivisation à marche forcée entraine l’effondrement de la production agricole avec des conséquences dramatiques en Roumanie ou en Bulgarie où l’économie est encore essentiellement agraire.
Et selon la pensée stalinienne, si l’économie stagne c’est qu’il existe des « traîtres » et « des espions impérialistes » qui tentent de saboter la Révolution. La répression s’était déjà abattue sur les opposants politiques (sociaux-démocrates, droite modérée, Églises…), elle va maintenant concerner toute la société. Parallèlement, les frontières extérieures sont progressivement fermées et fortifiées; officiellement pour se protéger des intrusions d’espions ou de saboteurs venant de l’Ouest. Ou pour empêcher la population de fuir ? Seules Vienne et Berlin demeurent des points de contact entre l’Est et l’Ouest, tandis que désormais un rideau de fer divise l’Europe en deux blocs antagonistes.
En Allemagne de l’est, les Soviétiques rouvrent le camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen certes pour y enfermer d’anciens nazis mais surtout des personnes suspectes d’anti-communisme. Les faire côtoyer permet ainsi de décrédibiliser l’opposition en l’associant au nazisme. Au paroxysme de la répression, on comptera en Roumanie près d’un million de personnes détenues ou déportées et plusieurs milliers d’autres exécutées pour raisons politiques. La Police politique roumaine, la Securitate, « innove » même dans la prison de Pitesti où, en échange d’un meilleur traitement, on force des détenus à torturer d’autres détenus. Le but, via les mauvais traitements et les privations, est de les « rééduquer » et surtout de les déshumaniser. L’inventeur de cette « technique » est un certain Turcanu, ancien membre du mouvement fasciste roumain de la Garde de Fer, récupéré par la suite par la Securitate.
Les pays Baltes qui ont connu la terrible expérience d’être tour à tour occupés par l’URSS en 1940, puis l’Allemagne en 1941, et à nouveau l’URSS en 1944 sont durement touchés et annexés par l’Union Soviétique. Accusés de collaboration avec les nazis ou de s’opposer à la politique de collectivisation, près de 500 000 Baltes sont déportés au Goulag (soit presque 10% de la population).[II]Résistance à l’occupation soviétique : Composés d’anciens résistants au nazisme ou à l’inverse de collaborateurs des une guérilla resteront actives en Ukraine et dans les Pays Baltes jusqu’en 1950
1948, le Coup de Prague ou la fin des illusions.
Dans l’Europe de l’après guerre, la situation de la Tchécoslovaquie [III]Tchécoslovaquie: État né en 1919 après la chute de l’Empire Austro-hongrois en associant la Bohême-Moravie et la Slovaquie. En 1993, d’un commun accord les communautés tchèques et slovaques se séparent pour former séparément la République Tchèque et la Slovaquie. Signant ainsi la disparition de la Tchécoslovaquie. diffère beaucoup des autres pays libérés par l’Armée Rouge. Durant l’entre-deux-guerres, seule démocratie parlementaire (où les femmes ont le droit de vote) dans une Europe Orientale dominée par des régimes autoritaires et fascistes, la Tchécoslovaquie apparait comme une véritable anomalie géopolitique. Elle est une puissance industrielle importante notamment grâce aux usines Skoda et à des ouvriers qualifiés. Son industrie est aussi reconnue dans le domaine de l’armement avec par exemple le fusil mitrailleur BREN ou la production de chars dans les usines Skoda. Paradoxalement si la Tchécoslovaquie fut alors la seule démocratie d’Europe de l’Est, elle est en 1945 le pays où le Parti communiste est le plus influent et dispose d’un vrai soutien populaire. Le PC tchécoslovaque est alors, avec ces homologues français et italien, l’un des plus puissants d’Europe. Lors des élections libres de 1946, les communistes obtiennent ainsi 40% des suffrages et forment un gouvernement avec les sociaux-démocrates. Le Secrétaire Général du PC, Klement Gottwald devient Premier Ministre tandis que Edvard Beneš demeure Président de la République. Benes incarne à lui seul l’histoire tragique de la Tchécoslovaque. Il était déjà Président en 1938 lors de la conférence de Munich [IV]Conférence de Munich: En 1938, Français et Anglais ne se contentent pas de trahir un allié mais désarme la défense tchécoslovaque. Le territoire des Sudètes forme en effet le long des frontières allemandes et autrichiennes une ceinture montagneuse (un peu comme les Alpes pour l’Italie) sorte d’armure où a été bâti une ligne de fortifications. Retirer ce territoire revient à condamner l’avenir du pays : les diplomates tchécoslovaques n’ont d’ailleurs pas été conviés à Munich…, durant laquelle Anglais et Français cédèrent aux exigences d’Hitler de démembrer la Tchécoslovaquie et d’annexer le territoire des Sudètes où vivait une minorité germanophone. Marquant ainsi de fait la fin de la Tchécoslovaquie indépendante : les Allemands occupant Prague en mars 1939. Pendant la guerre, Beneš est en exil à Londres où il dirige le gouvernement tchécoslovaque tentant de maintenir des relations de confiance à la fois avec les Alliés Occidentaux et les Soviétiques. Le 9 mai 1945, Prague est libérée par l’Armée Rouge tandis que, de retour dans son pays, Edvard Beneš est acclamé par la population. L’une des premières décisions du nouveau Président de la République de Tchécoslovaquie concerne l’expropriation et l’expulsion des populations allemandes et hongroises vivant dans le pays.
Beneš espère aussi pouvoir faire de son pays un état neutre, sorte de trait d’union ou de passerelle entre l’Occident et le bloc communiste. Il pense que ses bonnes relations avec le PC et Staline peuvent permettre à la Tchécoslovaquie de rester indépendante. Les communistes et Gottwald assurent à leurs conseillers soviétiques pouvoir arriver légalement au pouvoir ce que confirme leurs bons résultats aux élections de 1946. Signe d’espoir, en mai 1946, les troupes soviétiques quittent la Tchécoslovaquie et les communistes s’entendent avec les sociaux-démocrates et les libéraux pour gouverner ensemble.
En mars 1947, le Président américain Harry Truman annonce que les États-Unis ont l’intention de lancer sous la direction du Secrétaire d’État, le général Marshall, un vaste plan d’aide économique au continent européen (via des prêts et la fournitures de biens, machines industrielles). Il s’agit alors d’une période de transition entre la fin de la Grande Alliance contre le nazisme et la Guerre Froide. Beaucoup de diplomates pensent encore que l’Union Soviétique peut coopérer avec les États-Unis à la reconstruction de l’Europe (par exemple en fournissant des matières premières) tandis que d’autres craignent une expansion du communisme. Théoriquement tous les pays, y compris l’URSS, peuvent donc demander à bénéficier de l’aide américaine mais dans le même temps le général Marshall menace ceux (sous-entendu l’URSS) qui veulent profiter de la misère et du désordre social pour installer des régimes totalitaires en Europe. Le Plan Marshall revêt dès l’origine deux aspects contradictoires.
En Europe de l’Est, la Tchécoslovaquie et la Pologne sont tentées d’accepter le Plan Marshall et l’aide américaine. Il est même prévu que des envoyés tchécoslovaques se rendent à Washington pour en négocier les modalités. L’URSS, hésite d’abord sur la manière de réagir à l’annonce américaine. Accepter le Plan Marshall impliquerait de dévoiler la réalité de l’économie soviétique et n’ayant pas les moyens de concurrencer l’offre américaine, l’URSS impose finalement aux pays d’Europe de l’Est de refuser le Plan Marshall. Jan Masaryk, Ministre des Affaires Étrangères tchécoslovaque, est convoqué en urgence à Moscou, en juillet 1947, et doit annoncer que son pays renonçait à son adhésion au Plan Marshall.
C’est la fin de l’illusion de l’indépendance Tchécoslovaque vis à vis de l’Union Soviétique.
Les membres non-communistes du gouvernement prennent alors conscience de la menace que peut faire planer un parti communiste devenu trop puissant. Le 17 février 1948, une partie du gouvernement accuse le Ministre de l’Intérieur, le communiste Vaclav Nosek , de vouloir nommer à la direction de la Police des proches du PC et d’en éliminer les éléments non-communistes. Douze ministres (sur vingt-six) libéraux et sociaux-démocrates annoncent vouloir démissionner si cette décision n’est pas abandonnée. Leur but est de convaincre le Président d’organiser la tenue d’élections anticipées. Élections qui seraient probablement défavorable au PC qui, depuis 1945, a perdu en popularité. Le Premier Ministre Gottwald refuse de céder et donc de désavouer son ministre. La crise politique est alors ouverte.
Le Président Beneš est donc au centre de toutes les tractations: les libéraux recherchant son soutien pour contrer le PC tandis que les communistes le pressent d’autoriser la formation d’un nouveau gouvernement majoritairement communiste. Dans la soirée du 20 février, la radio diffuse un appel au peuple pour soutenir le PC contre les forces réactionnaires. Secrètement proche des communistes, le Ministre de la Défense, le général Svoboda, ordonne l’arrestation d’officiers « suspects » et la distribution de fusils et de mitraillettes aux milices ouvrières. Il annonce aussi que l’armée ne s’opposera pas un mouvement issu du peuple. Dans les usines, ouvriers, syndicalistes et militants sont mobilisés par milliers pour se réunir sur la grande Place de Prague afin d’entendre le discours du Premier Ministre Gottwald qui déterminé dans la crise réaffirme :
Vive l’amitié tchéco-soviétique seule garantie de notre indépendance et de notre liberté !
Le lundi 23 février, les milices communistes qui tiennent la rue, interdisent aux ministres de l’opposition d’accéder à leurs bureaux, et empêchent la parution de la presse non-communiste. Les libéraux et les socialistes-nationaux sont eux aussi prêts à mobiliser leurs partisans mais les armes sont aux mains des communistes tandis que la Police opère des arrestations et des perquisitions contre les membres de l’opposition.
Durant ces journées cruciales, Gottwald et le Secrétaire Général du PC, Rudolf Slánský, harcèlent Beneš, pour obtenir la formation d’un gouvernement ouvertement communiste, en alternant les menaces d’une intervention soviétique ou d’une guerre civile. Les deux hommes savent que le Président tchécoslovaque est très malade et gravement affaibli par une récente attaque cérébrale.
Le ralliement d’une partie des sociaux-démocrates au camp communiste constitue un premier tournant dans la crise. Gottwald propose alors au Président de remplacer les ministres démissionnaires par des communistes et des ralliés sociaux-démocrates.
Le 25 février, Edvard Beneš, voulant éviter un bain de sang, cède finalement et accepte un gouvernement communiste dirigé par Gottwald. Accusés d’espionnage, des parlementaires sont privés de leur immunité parlementaire puis arrêtés. Épuré le Parlement vote alors à l’unanimité la confiance au gouvernement puis une nouvelle Constitution qui transforme la Tchécoslovaquie en Démocratie Populaire. Refusant de ratifier cette Constitution, Beneš est écarté du pouvoir et se retire dans sa résidence : fatigué et malade.
Le 10 mars, on retrouve le corps sans vie de Jan Masaryk au pied de l’immeuble du Ministère des Affaires Étrangères. Il se serait suicidé en se jetant par une fenêtre [V]Défenestration : La Défenestration appartient au folklore de la vie politique à Prague. Une première défenestration de représentants du roi en 1419 déclenche une vaste révolte. En 1618, deux dignitaires catholiques furent jetés par une fenêtre du château de Prague par des protestants: événement marquant le début de la guerre de Trente Ans.En 2004, une commission tchèque estime que Jan Masaryk avait été assassiné par des agents communistes..
Ce décès bouleverse la population qui murmure sur la réalité de ce suicide. Jan Masaryk était pendant les années de guerre un homme politique de premier rang comme Ministre des Affaires Étrangères. Mais il était aussi le fils de Tomáš Masaryk, premier Président de la République en 1918 et depuis considéré comme le père de la nation tchécoslovaque. Jan Masaryk pouvait il devenir un opposant au nouveau pouvoir ?
Enfin, en septembre 1948, Edvard Beneš meurt à son tour, à l’âge de 64 ans, après des semaines de maladie.
Ces deux disparitions marquent la fin de la vie démocratique en Tchécoslovaquie qui plonge dans l’hiver stalinien. Vingt ans plus tard, le Printemps de Prague viendra secouer le joug de la dictature communiste.
Actualités françaises commentant les obsèques de Jan Masaryk en mars 1948.
On serait tenté d’accuser Beneš d’avoir naïvement cru pouvoir s’entendre avec Staline mais quel choix avait il ? Même si les Soviétiques n’occupaient plus directement la Tchécoslovaquie, ils disposaient de nombreux agents notamment via le PC et exerçaient une grande influence économique. Les Américains ne risqueraient jamais une nouvelle guerre pour défendre la liberté tchécoslovaque et, depuis 1938, Beneš n’avait plus guère confiance dans les Anglais et les Français pour protéger son pays.
Ces journées de Prague et le coup d’État communiste ont suscité une immense réaction dans le monde tant la Tchécoslovaquie semblait être le plus « occidental » des pays d’Europe Central. Les pays d’Europe de l’Ouest craignent que les communistes provoquent des troubles ou des grèves pour s’emparer du pouvoir comme à Prague. Cette crise marque aussi la rupture définitive entre socialistes et communistes. En France, les socialistes de la SFIO [VI]SFIO:Section Française de l’Internationale Ouvrière. Ancêtre de l’actuel Parti Socialiste. PCF: Parti Communiste Français.
s’engagent totalement dans la confrontation contre le PCF et se rapprochent des États-Unis. Le Congrès américain qui jusqu’alors était très réticent à autoriser les dépenses engendrées par le Plan Marshall vote massivement le financement de cette aide à l’Europe Occidentale.
En 1948, Staline a également des visées sur la Finlande ancien territoire de l’Empire russe devenu indépendant suite à la Révolution de 1917. En 1945 [VII]Finlande-URSS: En 1939, avec la guerre d’Hiver, l’URSS obtient quelques concessions territoriales de la Finlande. Bien qu’alliée de l’Allemagne lors de l’invasion de l’URSS, l’armée finlandaise se contente d’avancer jusqu’aux anciennes frontières et ne participe pas au siège de Leningrad. En 1944, la Finlande négocie secrètement un armistice avec les Soviétique et se retourne contre son allié Allemand., la Finlande échappe de peu à une invasion de l’Armée Rouge mais les Soviétiques tentent d’imposer leur influence via les communistes locaux. Le coup de Prague sauve paradoxalement la Finlande de la sphère soviétique. Les réactions internationales indignées obligent Staline à concéder un compromis en avril 1948. En échange d’une stricte neutralité, du paiement d’un lourd tribut et d’accords commerciaux; la Finlande peut conserver son indépendance et son modèle démocratique.
Ce semi-échec de Staline soulève une dernière question : les communistes tchécoslovaques ont il agit sur ordres de Moscou ou de leur propre initiative au risque de compromettre ainsi l’action de l’URSS en Finlande ? De fait, Staline n’a jamais toléré la moindre autonomie des pays satellites de l’Union Soviétique. Avec le commencement de la Guerre Froide, la « vitrine démocratique » de la Tchécoslovaquie était devenue, à ses yeux, inutile. Il a sans doute sous-estimé les réactions éventuelles des États-Unis et des pays d’Europe de l’Ouest ce qui lui a fait commettre l’erreur, d’être trop gourmand, et d’agir simultanément en Tchécoslovaquie et en Finlande.
Une grave crise va cependant secouer le mouvement communiste européen : temps fort de la Guerre Froide et du stalinisme. Car bientôt la Purge s’élargira au Parti lui même selon le précepte bien connu de la Révolution dévorant ses propres enfants.
Et pour terminer deux photos de Berlin d’août 1945 :