Rien n’a autant aveuglé les intellectuels allemands que l’orgueil de leur culture, en les engageant à ne voir en Hitler que l’agitateur des brasseries qui ne pourrait jamais constituer un danger sérieux. Stefan Zweig
De la défaite de 1918 à l’ascension politique d’Adolf Hitler :
Le 27 octobre 1918, devant l’imminence d’une défaite militaire sans précédent et craignant l’effondrement de l’armée [I]Situation militaire fin 1918 : Après l’échec des offensives allemandes de mars-juillet, les Alliés ne cessent de contre-attaquer et l’armée allemande recule. Les pertes allemandes sont sensibles et ne peuvent être compensée surtout que pour pouvoir mener les offensives en France, l’état-major a du retirer des divisions des fronts italien et des Balkans. Le 15 septembre, une offensive franco-serbe parvient à rompre le front dans les Balkans. La progression qui s’en suit est rapide et le 29 septembre la Bulgarie doit capituler tandis que Constantinople est menacée. En Italie, les armées austro-hongroises sont défaites à Vittorio-Veneto le 30 octobre et ne sont plus en état de poursuivre le combat. Sur le front Ouest, les Alliés progressent en Belgique et ont percé la ligne fortifiée Hindenburg., le général Ludendorff est contraint de démissionner tandis que l’état-major enjoint au gouvernement allemand de négocier un armistice avant la catastrophe. Avec l’armistice signé par l’Empire Ottomans le 29 octobre, puis par l’Autriche-Hongrie le 3 novembre, le flanc sud de l’Allemagne est exposé à une possible invasion. Le 7 novembre, une délégation allemande est envoyée négocier un armistice en France. Le 8 novembre, des marins de Kiel se mutinent contre leurs officiers qui veulent conduire une dernière bataille contre la Royal Navy et sont rejoints par des ouvriers. L’insurrection gagne progressivement d’autres villes où des grèves massives éclatent. Devant la menace d’une révolution, le Kaiser Guillaume II est incité à abdiquer par le chancelier et l’état-major. A Berlin, la République est proclamée au Reichstag le 9 novembre, et le social-démocrate Ebert forme un gouvernement provisoire. Le pouvoir du nouveau chancelier demeure encore fragile menacé par le mouvement spartakiste qui rêve d’une vraie révolution en s’appuyant sur les conseils d’ouvriers et de marins. Pour consolider son gouvernement, Ebert passe une alliance de circonstance avec les représentants de l’Armée impériale (Reichswehr) : en échange de la reconnaissance de son gouvernement, Ebert promet de combattre l’extrême gauche révolutionnaire et ne pas remettre en cause les privilèges de la Reichswehr. Le 11 novembre, un armistice est signé à Rethondes mettant fin aux combats mais sans résoudre les tensions en Allemagne. En acceptant la signature d’un armistice plutôt qu’une capitulation militaire, l’état-major allemand est parvenue à se dissocier de la défaite et va faire reposer la responsabilité des conditions très dures du futur traité sur le gouvernement civil.
La République menacée !
Rapidement en Allemagne, les anciens chefs de l’armée dont le général Erich Ludendorff, propagent une rumeur insidieuse : en 1918, l’armée allemande n’a pas été vaincue mais trahie par les parlementaires qui ont renversé l’empereur et signé l’armistice. Les traitres se sont donc, la République, les socialistes, les sociaux-démocrates et aussi les Juifs. Le mythe du coup de poignard dans le dos est ainsi né et sera à la base du message politique d’Hitler. Début 1919, le gouvernement laisse l’armée et les Freikorps[II] FreiKorp : Corps Franc en allemand. Milice formée fin 1918 par des officiers et sous-officiers démobilisés pour combattre en Estonie et en Lettonie contre les indépendantistes mais aussi contre les mouvements révolutionnaires qui éclatent dans les principales villes d’Allemagne. Les différents Freikorp sont soutenus par l’armée mais doivent être dissous en 1923 après un putsch manqué. écraser les révolutionnaires spartakistes à Berlin et dans le reste de l’Allemagne. Les morts se comptent par centaines et les dirigeants spartakistes Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés.
Le 28 janvier 1919, le traité de Versailles est signé. L’Allemagne est tenue responsable de la guerre, perd toutes ses colonies, son territoire est amputé de l’Alsace-Lorraine, et des régions de l’est sont cédés à la nouvelle Pologne. L’Allemagne doit aussi payer des réparations de guerre aux pays victimes des destructions sur leur sol la France et la Belgique notamment. Son armée est réduite à 100 000 et il lui est interdit de disposer d’avions, de chars, d’artillerie lourde ou de sous-marins. Ce traité est vécu comme une injustice pour une large partie de la population allemande qui estime que les Alliés ont humilié et se sont acharnés sur leur patrie. A l’époque beaucoup d’allemands ignorent (ou feignent) que si leur territoire et leur industrie ont été épargnés par les combats, de larges régions belges ou françaises sont dévastées et ruinées par quatre ans de guerre.
La république de Weimar[III]République de Weimar : Le 9 novembre 1918, la défaite imminente et les manifestations forcent l’empereur Guillaume II à abdiquer. La République est alors proclamée. Devant le risque d’une révolution communiste « spartakiste » à Berlin, le nouveau gouvernement se replie à Weimar pendant quelques mois avant l’écrasement du mouvement spartakiste. Le nom de République de Weimar restera ensuite accolé au nouveau régime notamment par ces ennemis, gouvernée par le centre-droit et la social-démocratie, est donc attaquée tant par la droite nationaliste et monarchiste qui les considèrent comme des traîtres après le Traité de Versailles et par l’extrême gauche communiste considère le gouvernement comme un ennemi de la classe ouvrière. Ces deux forces extrêmes vont pendant les premières années de la jeune république tenter de s’imposer et de prendre le pouvoir (Révolution Spartakiste en 1919, tentative de putsch militaire de Kapp en 1920). Les ministres Matthias Erzberger et Walter Rathenau sont ainsi assassinés par un groupe d’extrême droite. La crise financière et l’hyperinflation aggravent aussi l’instabilité politique: une miche de pain s’achète pour 3 milliards de marks. D’ailleurs en 1923, le gouvernement est incapable de verser les réparations de guerre à la France qui décide d’occuper militairement la région de la Ruhr tant que l’Allemagne ne s’acquittera pas de sa dette. En octobre, une insurrection communiste éclate en Thuringe et en Saxe.
En 1921, un idéologue Adolf Hitler prend la tête, à Munich, d’un petit parti nationaliste le Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NSDAP) [IV]NSDAP : Parti National-Socialiste des travailleurs Allemands qui grâce à son charisme, à la situation d’extrêmes tensions politiques et aux discours ultra-nationalistes de son chef gagne en popularité. S’inspirant de son modèle Mussolini, Hitler adopte, une organisation de parti paramilitaire, le salut fasciste, le culte du chef : les membres du parti l’appellent désormais Führer. Et un emblème : le drapeau à croix gammée[V] Drapeau à croix gammée : Le drapeau reprend les trois couleurs du drapeau impérial allemand (Noir, Blanc, Rouge). La svastika est censée représenter la race aryenne et les racines germaniques. Avec l’aide de Ernst Röhm, un ancien capitaine qui a participé l’écrasement de la révolution à Munich, Hitler créé aussi sa propre milice para-militaire : la SturmAbteilung (SA) ou Section d’Assaut. Habillés d’anciens uniformes de couleur brun, les SA seront surnommés les « Chemises Brunes ». En 1923, Hitler tente avec le général Ludendorff, un putsch à Munich qui échoue rapidement. L’armée tire sur les nazis et Hitler arrêté est condamné à 5 ans de prison mais sera libéré au bout de seulement un an pour bonne conduite.De cet échec, Hitler tirera la conclusion que le renversement de la République par la force est trop hasardeux et que la prise du pouvoir doit se faire légalement. Lors de son emprisonnement il écrira son manifeste politique et futur le bréviaire du mouvement nazi : Mein Kampf.
L’Allemagne dans les années 20:
Après le putsch raté de la Brasserie et l’échec des manifestations révolutionnaires du KPD[VI]KPD: Kommunistische Partei Deutschlands. Parti Communiste d’Allemagne, la République Weimar semble être parvenue à se consolider et en avoir fini des poussées révolutionnaires. Le redressement économique s’opère alors progressivement, des avancées sociales sont obtenues pour les travailleurs allemands. A l’extérieur, les relations avec la France se normalisent : un accord sur le paiement des réparations de guerre est négocié et en 1925 la France met fin à l’occupation de la Ruhr. Le revanchisme et le nationalisme séduisent moins d’allemands et si les gouvernements successifs cherchent toujours une révision du traité de Versailles, ils veulent y parvenir par des voies diplomatiques. D’ailleurs aux élections législatives de 1928, les partis extrémistes reculent : le parti communiste ne représente que 10% des voix et le parti national-socialiste de Hitler obtient à peine 2,5% de voix bien loin des 30% du parti social démocrate (SPD). Malgré cette accalmie, les tensions politiques demeurent vives. A Berlin, 1er mai 1929, la manifestation organisée par le KPD dégénère en combats de rue entre les troupes de chocs communistes (Roter Frontkämpferbund) et la police. Le lendemain, en réaction le parti appelle à la grève générale. Très anticommuniste et craignant que la grève soit le début d’une insurrection armée, la Police réprime violemment et tire sans sommation sur les manifestants. Les émeutes durent jusqu’au 3 mai, on compte alors 33 morts et 1200 arrestations. Cet événement marque une rupture entre le KPD et le SPD. Les communistes accusant les sociaux-démocrates d’être des ennemis de classe et des « sociaux-traîtres ».
Parallèlement, l’armée, la Reichswehr, s’est octroyée la mission de la protection des institutions du pays et de la renaissance de la puissance allemande. De fait, dès 1923, l’Allemagne enfreint gravement le traité de Versailles en coopérant avec l’Union Soviétique pour expérimenter clandestinement des chars, des avions et des gaz de combat. Le gouvernement couvre les actions de la Reichswehr à défaut de les soutenir
Dans l’Allemagne de l’après guerre,les associations para-militaires d’anciens combattants réunissent des millions de membres et constituent aussi une force politique non négligeable. La principale d’entre elles est le Stahlhlem (Casque d’Acier) d’inspiration monarchique, très nationaliste, regroupant des anciens des Freikorps. Le mouvement est proche de l’armée qui espère utiliser le Stahlhelm comme une potentielle réserve de soldats. Il n’est d’ailleurs pas rare que des généraux assistent aux rassemblements et défilés. Au cours des années, le Sthahlhelm va se diviser, les membres les plus radicaux choisissant de rejoindre le parti nazi et la SA tandis que d’autres bien que très nationalistes rejettent une alliance avec Hitler. A l’opposée, les anciens combattants et militants sociaux démocrates fondent la Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold dédiée à la défense de la République de Weimar. .
Le krach de 1929: quelles conséquences pour l’Allemagne ?
A la fin des années 20, la République est encore fragile mais l’Allemagne semble avoir surmonter le pire. La crise boursière de octobre 1929 va ruiner les Etats-Unis et par ricochet produire des conséquences funestes en Allemagne. En 1931, les investissements étrangers notamment américains se tarissent, tandis que l’industrie allemande dépendante des exportations est fortement touchée par l’effondrement des échanges internationaux. Lorsque une rumeur laisse entendre que le gouvernement aurait décidé de stopper le versement des réparations de guerre, la fuite des capitaux s’accélère brutalement. Le chancelier Brünig tente alors une politique d’austérité se traduisant par des hausses d’impôts et une baisse des salaires qui non seulement n’aide pas l’économie mais rend le chancelier très impopulaire. La crise provoque la fermeture de nombreuses entreprises et une hausse spectaculaire du chômage (25% de la population en 1932 soit 6 millions de personnes) et une inflation galopante. Cette situation sape la confiance dans le gouvernement, ravive les tensions sociales et si le parti communiste gagne des voix c’est surtout le parti nazi d’Hitler qui ne cesse de gagner en influence.
Dans cette période de crise, le programme national-socialiste basé sur la dénonciation du parlementarisme, le retour de l’ordre et les promesses de plein emploi séduisent une part croissante d’Allemands lassés des partis traditionnels. Pour Hitler, les responsables des malheurs de l’Allemagne ce sont les Juifs capitalistes, traîtres alliés aux bolcheviques et qui volent le travail et la richesse des vrais Allemands. A la place de la société cosmopolite supposée dépravée de la république de Weimar, Hitler promet de régénérer la communauté allemande et de lui redonner sa gloire d’antan. Ces messages antisémites et de grandeur promise séduisent une partie d’une société traumatisée par les crises à répétitions qui frappent le pays depuis 1918. Le parti nazi attire donc à lui les commerçants, la petite bourgeoisie effrayée par le « péril rouge », les chômeurs mais aussi une partie du monde ouvrier séduit par les promesses sociales. Hitler parvient même à maintenir l’ambiguïté en gardant un programme partiellement « socialiste » tout en étant soutenu par de grands industriels allemands qui aspirent à un gouvernement fort et anti-communiste. Fritz Thyssen (Sidérurgie), Albert Voegler (Sidérurgie) ou Günther Quandt (BMW), approuvent le programme d’ordre et de relance économique d’Hitler et financent massivement le parti nazi. Deux dirigeants nazis, Hermann Goering et Rudolf Hess qui connaissent les milieux mondains introduisent Hitler auprès des membres de la haute bourgeoisie et l’aristocratie allemande d’abord méfiantes vis-à-vis de cet aventurier. Un des fils de l’ex-kaiser Guillaume II adhèrera même au parti nazi et la SA.
Aux élections de 1930, le NSDAP grimpe à 18% des voix soit 6 millions de suffrages et devient le second parti politique d’Allemagne. Cette ascension vers le pouvoir n’est pas sans difficulté. En 1930, les chefs SA de Berlin critiquent l’abandon de l’action révolutionnaire et entrent en opposition ouverte avec la direction du parti. Il faut l’intervention personnelle d’Hitler pour calmer les esprits et obtenir l’expulsion des meneurs de la révolte. Sur un plan plus personnel, Hitler est affecté profondément par le suicide, le 18 septembre 1931, de sa nièce Geli Raubal pour qui il ressentait une affection très forte et possessive. Déjà à l’époque, des journaux s’interrogent sur les circonstances de ce suicide, soupçonnant un amour incestueux d’Hitler voire même qu’Hitler aurait tué sa nièce dans un accès de violence. Ces rumeurs sont abondamment répandues par les adversaires politiques des nazis.
Lors de l’élection présidentielle de mars 1932, Hitler bénéficie des moyens pour mener sa compagne électorale dans toute l’Allemagne. Il se déplace fréquemment en avion pour se rendre dans chaque région prononcer des discours devant des foules de plus en plus nombreuses. Les grands rassemblements et les défilés nazis à Nuremberg et Munich sont savamment mis en scène et servent la propagande. Durant l’élection présidentielle, afin de stopper l’ascension d’Hitler, le centre droit et les socialistes s’unissent pour soutenir le maréchal Hindenburg. Hindenburg est réélu comme Président du Reich avec 53% des voix et même si Hitler est battu, il parvient à obtenir 13 millions de suffrages. L’alliance entre les partis modérés sera éphémère car Hindenburg est proche de la droite monarchiste qui déteste les représentants de la social-démocratie.
Les violences des SA :
Parallèlement à cette irrésistible ascension, les effectifs de la SA n’ont cessé de grossir : de 100 000 en 1930 à 400 000 hommes en 1932. Les troupes de chocs de la SA sont composées de chômeurs, d’anciens combattants, de nationalistes mais aussi de malfrats qui n’hésitent pas à semer le chaos. Leur chef, est Ernst Röhm, ancien capitaine pendant la Grande Guerre et ami d’Hitler depuis dix ans. Partiellement armée, la SA assure le service d’ordre du parti nazi mais participe aussi aux actions violentes contre les adversaires politiques qui débouchent souvent sur des blessés et des morts. En 1931, ce sont 47 SA et près de 80 membres du RotFront qui sont tués dans des affrontements de rue tandis qu’en Westphalie la Police découvre un important dépôt d’armes dissimulé par la SA. En avril 1932, après l’agression de citoyens Juifs à Berlin, le gouvernement passe un décret ordonnant la dissolution des SA et SS sans pour autant réussir à stopper l’escalade de la violence. Cette décision est aussi motivée par l’existence supposée d’un plan des SA pour s’emparer par la force des ministères à Berlin en cas de victoire d’Hitler aux élections présidentielles.
Les désordres politiques minent l’autorité de la République incapable d’y mettre un terme du fait d’une Police sous-équipée et parfois complaisante vis à vis des exactions des SA contre les communistes. En 1930, Joseph Goebbels, grand propagandiste du parti Nazi, « glorifie » le combat des SA en créant le mythe du martyr Horst Wessel, jeune SA mort au combat contre les communistes. Un chant le « Horst Wessel Lied » est créé en son honneur et deviendra l’hymne du parti nazi. En fait Horst Wessel était un proxénète et sa mort est sans doute plus liée à un règlement de comptes entre voyous qu’à un vaillant combat contre l’ennemi bolchevique…
Depuis 1928, une section de la SA est désignée pour assurer la sécurité d’Hitler et des dirigeant nazis sous l’appellation d’escadron de protection ou Schutzstaffel (SS). Sous le commandement de son chef Heinrich Himmler, la SS applique des critères stricts pour sélectionner les membres les plus fanatiques et « aryens » du parti nazi qui revêtent un uniforme noir (conçu par Hugo Boss) pour se distinguer des SA. Progressivement, la SS va gagner en indépendance et même entrer en concurrence avec la SA.
Impasse politique en Allemagne :
Le gouvernement peine à répondre à la fois à la crise économique et aux coups portés par ses adversaires communistes ou nazis. La constitution de Weimar autorise, via l’article 48, le Président à pouvoir gouverner par décret en cas de crise grave. Les décrets ont alors valeur de loi et sont ensuite appliqués sans vote du Reichstag. A partir de 1930 et faute de majorité parlementaire, le chancelier Brünig use et abuse de cet outil constitutionnel pour gouverner. Ce recours répété à l’article 48 affaiblit le rôle démocratique du Reichstag et le sens même de République. Mais après les élections présidentielles de juin 1932, ayant perdu la confiance du Président Hindenburg, Brünig est rapidement remercié. La nomination, de Von Papen comme nouveau chancelier est une surprise pour l’opinion. André François-Poncet ambassadeur de France à Berlin écrira dans ses mémoires :
Papen présente, en effet la particularité que, ni ses amis ni ses ennemis ne le prennent tout à fait au sérieux. (…) On le dit superstitieux, brouillon, faux, ambitieux, vaniteux, rusé, intrigant.
Issu de l’aristocratie et de l’aile conservatrice du Zentrum, Von Papen veut à la fois unir les forces de la droite mais aussi affaiblir les socialistes au Parlement. Dans ce but, il forme un cabinet ministériel résolument conservateur qui ne s’oppose pas frontalement aux nazis. Même si il est jugé trop radical, les discours pan-germanistes et contre le traité de Versailles d’Hitler parlent aux conservateurs.
L’été sanglant de 1932 :
N’arrivant pas à former une coalition au Parlement, Von Papen choisi dès sa nomination de dissoudre le Reichstag et organise de nouvelles élections dans l’espoir qu’elles seront favorables aux conservateurs et à la droite.
Durant l’été 1932, les batailles de rue entre SA et militants communistes sont fréquentes et les forces de l’ordre sont impuissantes à les empêcher. Entre le 14 et 20 juillet, on relève 99 morts en Prusse, 17 morts et une centaine de blessés à Hambourg après des combats de rue provoqués par les nazis. Beaucoup d’allemands ont le sentiment que le pays est au bord de la guerre civile. Cette situation profite à Hitler qui, bien que responsable de la plupart des troubles, promet de ramener l’ordre et dénonce la faiblesse de la République. Pour séduire la classe moyenne et la petite bourgeoisie, les nazis agitent aussi le spectre de la menace d’une révolution bolchevique. Hitler joue aussi successivement sur le registre de l’apaisement mais aussi de la menace en rappelant à l’envie que les SA et la nationaux-socialistes n’hésiteront jamais à répondre aux attaques par des actions plus violentes encore…
Le gouvernement est paralysé : en cas d’une insurection menée par les SA, il est probable que la Police soit rapidement dépassée quant à l’armée est ce que ses 100 000 hommes suffiront à bloquer près d’un million de chemises brunes sans déclencher une guerre civile ? Qui in fine profiterait aux communistes. Sans compter que rien n’indique que les généraux de la Reichswehr s’engagent pour sauver la République. Dans les rangs de l’armée, des officiers et sous-officiers sont même séduits par les idées d’Hitler et plusieurs hommes politiques à droite estiment qu’à condition de modérer leur discours, les troupes des Chemises brunes peuvent être utiles en cas d’insurrection communiste.
Le 20 juillet, Von Papen proclame la loi martiale à Berlin certes pour ramener l’ordre mais ordonne aussi la dissolution du Parlement local de Prusse [VII] Parlement/ Länder : La République de Weimar est une république fédérale où les régions (Länder) disposent d’un Parlement et d’une Constitution locale. Les principaux Länder sont la Bavière et la Prusse. Le Land de Prusse regroupe 70% du territoire et intègre la capitale de Berlin ce qui fait de son Parlement local le plus influent. De 1919 à 1933, le Parlement de Prusse est majoritairement composé de députés sociaux-démocrates accusé de faiblesse face aux violences. Le but espéré est de renforcer le gouvernement central. Il doit renoncer car cette action non seulement ne freine pas la violence des SA mais soulève une vive opposition des sociaux-démocrates qui dénoncent une tentative de coup d’État et se méfient désormais des conservateurs comme Von Papen.
La résistance à la menace nazie tente de s’organise :
Depuis 1931, les partis de la gauche allemande et les syndicats non communiste tentent de s’unir pour contrer les trois courants politiques qui menacent à leurs yeux la République : le parti nazi (NSDAP) d’Hitler, le parti communiste (KPD) de Thälmann et la réaction conservatrice et monarchique incarnée par Von Papen. Les organisations d’anciens combattants et para-militaires proches des sociaux-démocrates s’unissent ainsi pour former le Front de Fer (Die Eiserne Front) qui organise des manifestations massives contre la menace totalitaire et affronte même dans la rue les SA ou les miliciens communistes. En 1933, le Front de Fer regroupera près de 3 millions d’adhérents. Même si certaines sections sont décidées à se battre contre les nazis voire à s’armer pour contrer un éventuel coup de force, les dirigeants sociaux-démocrates veulent mener le combat contre Hitler uniquement sur le terrain parlementaire.
Le 31 juillet dans un contexte d’intenses violences politique, les nazis recueillent 37% des suffrages lors des élections et disposent désormais de 240 députés au Reichstag. Le parti nazi progressent aussi dans l’ensemble des parlements régionaux d’Allemagne. Il devient ainsi le premier parti en Allemagne même si il ne dispose pas encore de la majorité parlementaire.
Bon connaisseur du jeu politique et proche d’Hitler, Hermann Goering parvient à être élu Président du Reichstag grâce aux ralliements de députés nationalistes et de la droite. Fort des nombreux députés nazis, il organise une obstruction parlementaire systématique contre le gouvernement. Hindenburg refusant obstinément de nommer Hitler comme chancelier, les nazis veulent provoquer de nouvelles élections qui augmenteront leur force. En effet, Hindenburg comme une partie de la droite traditionaliste méprisent les nazis et ce « petit caporal bohémien » d’Hitler. Mais le coup de grâce contre le gouvernement Papen ne viendra pas des nazis mais de la gauche. Thälmann et les députés communistes planifient de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Alliance contre-nature s’il en est, les députés nazis soutiennent ce vote de censure proposé par les communistes. Le NSDAP et le KPD, pourtant ennemis jurés, ont tout intérêt à de nouvelles élections où ils font le pari d’en sortir renforcés. Le communiste Thälmann suit aussi les consignes de l’Internationale et de la ligne stalinienne qui estiment que les ennemis principaux sont la droite « réactionnaire » et les socialistes « traîtres à la cause ouvrière » et non les nazis. Plutôt que d’éviter de voir son gouvernement renversé, Von Papen choisi de demander au Président de dissoudre le Reichstag provoquant de nouvelles élections.
Hindenburg nomme Adolf Hitler chancelier du Reich
Le vote de novembre 1932, marque un net recul pour Hitler qui perd 30 députés et deux millions de voix ce qui poussent ses proches à s’interroger sur la stratégie suivie d’autant que les campagnes électorales successives pèsent sur les finances du parti. Les affiches, les multiples assemblées, coûtent cher et les industriels qui financent le NSDAP rechignent désormais à verser de l’argent. Est ce que ce revers est temporaire ou au contraire les électeurs se sont lassés d’Hitler ?
Malgré tout la situation politique reste bloquer faute de pouvoir former une coalition apte à gouverner sans les nazis. Le SPD et le Zentrum ne peuvent s’entendre pour gouverner ensemble d’autant plus que le parti de centre droit est divisé sur le soutien à apporter au conservateur Von Papen figure rejetée unanimement par les sociaux-démocrates. Quant aux communistes suivant les consignes de Staline, leur chef Thalman refuse toute alliance avec la « bourgeoisie réactionnaire » du Zentrum et les « sociaux-traîtres » du SPD. De toute façon, le centre droit et une partie des sociaux démocrates rejettent autant les nazis que les communistes. Face à cette nouvelle défaite et critiqué en interne, Von Papen est poussé à la démission par le Président sur les conseils du général Von Schleicher ministre de la Défense et représentant des intérêts de la Reichswehr. Celui-ci est nommé chancelier.
Toujours sans majorité, le général Von Schleicher, tente alors de négocier le ralliement de Georg Strasser l’un des représentants de « l’aile socialiste » du parti nazi en lui proposant un poste de vice-chancelier. Le nouveau chancelier espère réunir une large coalition qui réunirait le centre, la droite nationaliste et des dissidents du parti nazi qui obtiendrait une majorité de gouvernement. En nommant Strasser comme ministre, Von Schleicher espère affaiblir Hitler et rallier ses électeurs.
Cependant, par revanche Von Papen critique la politique de Schleicher tandis que plusieurs grands propriétaires (Junkers) se plaignent auprès d’Hindenburg du projet du chancelier de redistribuer leurs terres en Prusse Orientale. Ce sujet est sensible pour Hindenburg qui possède un vaste domaine en Prusse. Impuissant aussi à arrêter les violences politiques, Von Schleicher est décrédibilisé auprès du Président qui le renvoie. Quant à Georg Strasser, il est mis en accusation par Hitler et expulsé du parti nazi en décembre 1932. Espérant retourner au pouvoir, Franz Von Papen convainc Alfred Hugenberg (chef du parti nationaliste allemand) d’entamer avec Hitler des négociations pour la formation d’un gouvernement commun.
Devant l’impasse politique, le vieux maréchal Hindenburg (il a 85 ans) se laisse fléchir et, accepte finalement la proposition de Von Papen d’un gouvernement dirigé par Hitler. Ce gouvernement sera une coalition des forces conservatrices et nationalistes au sein duquel les nazis seraient minoritaires avec seulement Hermann Göring comme Ministre de l’Intérieur de Prusse et Wilhelm Frick au Ministère de l’Intérieur. La Police et une partie de l’administration judiciaire sont donc désormais majoritairement contrôlées par les nazis. Hitler est chancelier du Reich tandis que Von Papen devient vice-chancelier. Il pense que étant minoritaires dans le gouvernement, les nazis resteront contrôlables, moins dangereux et que confronté à la réalité du pouvoir Hitler sera contraint de modérer son projet politique. A vrai dire, Von Papen et les autres conservateurs n’ont pas compris que Hitler et les nazis n’ont que mépris pour les usages traditionnels de la politique allemande, ne sont limités par aucun scrupule et entendent s’emparer de tous les pouvoirs par tous les moyens.
Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devient donc chancelier et annonce le lendemain sa décision de dissoudre le Parlement et donc de nouvelles élections législatives sont prévues pour le 5 mars. La nuit même, Goebbels organise, dans Berlin, une parade de 15 000 SA qui défilent aux flambeaux sous les fenêtres de la Chancellerie et de la Présidence du Reich. Pendant des heures, les chants, les cris, les « Heil », et les bruits de bottes des SA vont résonner dans les rues de Berlin.
Et de ces hommes en chemises brunes, bottés, disciplinés, alignés, dont les voix bien réglées, chantent à pleine gorge des airs martiaux se dégage un enthousiasme, un dynamisme extraordinaire. (…) Ils [les spectateurs] poussent à leur tour une longue clameur, sur laquelle se détache l’inexorable martellement des bottes et les accents cadencés des chants. Le fleuve de feu passe devant l’ambassade de France, d’où je regarde, le cœur serré, étreint de sombres pressentiments, son sillage lumineux; il oblique dans la WilhelmStrasse et roule sous les fenêtres du Palais du maréchal. (André François-Poncet, Ambassadeur de France)